La Cour de cassation se prononce mercredi sur une procédure en France concernant le président des Emirats arabes unis Mohammed ben Zayed Al-Nahyane, dit "MBZ", objet d'une plainte pour "complicité d'actes de torture" dans le cadre du conflit au Yémen et qui pourrait être protégé par son immunité de chef d'Etat.
En novembre 2018, six Yéménites et l'association Alliance internationale pour la défense des droits et libertés (AIDL) avaient déposé plainte avec constitution de partie civile au pôle crimes contre l'humanité du Tribunal judiciaire de Paris à l'occasion d'une visite de MBZ, alors prince héritier émirati.
En vertu de sa "compétence universelle" pour les crimes les plus graves, la justice française a la possibilité de poursuivre et condamner les auteurs et complices de ces crimes lorsqu'ils se trouvent sur le territoire français.
Les plaignants dénonçaient notamment des actes de torture commis dans les centres de détention contrôlés par les forces armées des Emirats arabes unis, mais aussi des blessures ou la mort de proches causées par des bombardements survenus lors de funérailles à Sanaa fin 2016, imputés aux forces de la coalition à laquelle participent les EAU.
L'un des plaignants a raconté avoir été emprisonné alors qu'il oeuvrait pour la libération des Yéménites détenus aux mains des forces émiraties. Il a été "placé dans un +trou+ aussi grand qu'un tonneau pendant 48 heures, les pieds et les mains liés par des fils de fer", puis il a été "déshabillé et pendu par les mains au plafond pendant plusieurs heures", électrocuté et brûlé par des cigarettes, détaille la plainte.
Mohammed ben Zayed étant le commandant suprême des forces armées des Emirats arabes unis, il est "susceptible d'avoir fourni les moyens et les instructions pour la réalisation de ces infractions", soulignait la plainte.
- "Intérêts diplomatiques" -
Une information judiciaire a été ouverte à Paris en octobre 2019, dans laquelle s'est immédiatement posée la question de l'éventuelle immunité dont pourrait bénéficier MBZ.
Dans une note de février 2020, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, saisi pour avis, a estimé que MBZ était alors de facto chef d'Etat émirati, lui conférant une immunité de juridiction pénale étrangère absolue.
Le parquet national antiterroriste (Pnat), compétent en matière de crimes contre l'humanité, a demandé un an plus tard au juge d'instruction de prononcer un non-lieu au nom de cette immunité, des réquisitions suivies en juillet 2021 par une ordonnance de non-lieu, confirmée ensuite en appel en janvier dernier.
Les plaignants ont formé un pourvoi, examiné le 12 octobre.
Ils estiment notamment que MBZ ne peut se prévaloir de cette immunité dans ce dossier, alors que la plainte le visait au moment où il était prince héritier et haut responsable de l'armée, et que même si c'était le cas, cela ne devrait pas empêcher les magistrats instructeurs d'enquêter sur les accusations de ce dossier pour en trouver d'éventuels autres responsables.
Avant l'audience du 12 octobre, le rapporteur s'est prononcé pour la non-admission du pourvoi par la chambre criminelle.
Dans un avis dont l'AFP a eu connaissance, il estime que MBZ est "l'unique personne visée" par la plainte, qu'il bénéficie bien d'une immunité, du fait de son "rang élevé dans l'Etat" au moment de la plainte, et que de ce fait, les juges d'instruction n'avaient pas l'obligation d'enquêter sur d'éventuelles autres responsabilités.
"J'espère que la justice rendra une décision en droit, sans prise en compte des intérêts diplomatiques de la France", a déclaré l'avocat des plaignants, Me Joseph Breham, sollicité par l'AFP, ajoutant : "J'ai confiance dans la justice de mon pays et dans la Cour européenne des droits de l'Homme", qui pourrait être saisie en cas de clôture de l'enquête par la Cour de cassation.
Le Yémen est ravagé par une guerre opposant depuis 2014 les Houthis soutenus par l'Iran et le pouvoir, appuyé par la coalition militaire menée par l'Arabie saoudite.
Le conflit a plongé le Yémen, pays le plus pauvre de la péninsule arabique, dans l'une des pires tragédies humanitaires au monde. Selon l'ONU, la guerre a fait des centaines de milliers de morts.
Sollicitées lundi, les autorités émiraties n'avaient pas répondu dans l'immédiat.