Un tribunal sur l'intervention russe a de sérieux obstacles à surmonter, selon des experts

2 min 35Temps de lecture approximatif

Alors que Kiev et l'Occident rêvent d'un tribunal capable de mettre Vladimir Poutine sur le banc des accusés pour l'invasion de l'Ukraine, des experts avertissent qu'une telle juridiction serait confrontée à de sérieux défis.

L'UE a proposé la semaine dernière de travailler à la création d'un "tribunal spécial" soutenu par l'ONU pour poursuivre en justice les crimes d'agression russes, une des étapes les plus concrètes à ce jour vers la mise en place d'une telle juridiction.

Cela permettrait de contourner le fait que la Cour pénale internationale (CPI) n'est compétente que pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés en Ukraine et non pour les crimes d'agression russes.

De sérieuses questions subsistent cependant quant à la faisabilité et la légitimité d'une telle juridiction, et si elle finirait par juger le Kremlin ou des hauts responsables militaires.

- 'Volonté politique' -

La mise en place même du tribunal nécessiterait la mobilisation d'un soutien mondial pour poursuivre en justice une guerre menée en Europe, une première source de défis.

"Ils ne sont pas insurmontables, mais demanderont des efforts", a déclaré Oona Hathaway, professeure de droit international à l'université de Yale. Cela dépendra "de la volonté politique des personnes impliquées", a-t-elle ajouté.

On observe de plus en plus de soutien à l'Ukraine à l'échelle mondiale, souligne-t-elle: 143 États ont voté mi-octobre lors l'Assemblée générale de l'ONU (AGNU) pour condamner les annexions illégales de territoires ukrainiens par la Russie.

L'Assemblée semble être la seule voie à un soutien onusien à la juridiction, puisque Moscou utiliserait son siège permanent pour opposer son veto à tout appui du Conseil de sécurité de l'ONU.

Mais le soutien pourrait être limité pour un tribunal qui n'impliquerait que des États européens ou une organisation régionale comme l'UE "car cela envoie le mauvais message sur le crime d'agression", a déclaré Mme. Hathaway.

- 'Changement de régime' -

Un important défi serait l'arrestation des suspects, le crime d'agression se limitant aux plus hauts responsables de la Russie.

Moscou a affirmé en réponse à l'appel de l'UE qu'il ne reconnaitrait pas le tribunal, et qu'il n'aurait "aucune légitimité".

"A moins qu'il n'y ait un changement de régime en Russie, Poutine et d'autres responsables de très haut niveau devraient quitter la Russie pour être arrêtés dans un autre État et transférés (au tribunal)", a souligné à l'AFP Cecily Rose, professeure adjointe de droit international public à l'université néerlandaise de Leyde.

- Immunité pour Poutine ? -

Vladimmir Poutine et les hauts responsables seraient probablement à l'abri des arrestations et des poursuites, du moins pendant leur mandat et peut-être même après ceux-ci.

"S'ils devaient quitter la Russie, d'autres États seraient sans doute obligés de respecter l'immunité de ces personnes", a déclaré Mme. Rose, soulignant que la question fait l'objet d'un débat intense.

L'obstacle pourrait être contourné si le Conseil de sécurité de l'ONU ordonnait à tous les États de coopérer, comme ce fut le cas dans l'affaire de la CPI contre l'ancien dirigeant soudanais Omar el-Béchir. Mais il se heurterait ici aussi au veto de Moscou.

"Il pourrait très bien y avoir un tribunal sans aucun accusé en garde à vue", même s'il serait possible de juger des individus par contumace, selon Mme. Rose.

- Préjudiciable à la CPI ? -

La CPI enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité suspectés en Ukraine, Kiev ayant accepté sa compétence, mais elle n'a pas compétence sur les crimes d'agression commis par des pays n'ayant pas ratifié le Statut de Rome instituant la cour, comme la Russie.

La mise en place d'un tribunal spécial permettrait de contourner cet obstacle, mais fait naître une autre crainte.

"L'importance de toute condamnation future pour ces crimes (crimes de guerre et crimes contre l'humanité) ne doit pas être sous-évaluée ou éclipsée par l'accent mis sur le crime d'agression", a déclaré Mme Rose.