Génocide au Rwanda: la justice annule le non-lieu dans l'enquête française sur le massacre de Bisesero

Nouveau rebondissement dans une des affaires judiciaires les plus sensibles liées au génocide au Rwanda: la cour d'appel de Paris a annulé mercredi l'ordonnance de non-lieu rendue dans l'enquête sur l'inaction reprochée à l'armée française lors des massacres de Bisesero fin juin 1994.

Selon plusieurs sources proches du dossier, la chambre de l'instruction a annulé cette ordonnance pour un motif procédural et renvoyé l'affaire aux juges d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris.

Les associations Survie, Ibuka, FIDH et six rescapés de Bisesero, parties civiles, accusent la mission militaro-humanitaire française Turquoise et la France de "complicité de génocide" pour avoir, selon eux, sciemment abandonné pendant trois jours les civils tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero, dans l'ouest du pays, laissant se perpétrer le massacre de centaines d'entre eux par les génocidaires, du 27 au 30 juin 1994.

Le 1er septembre 2022, soit 17 ans après l'ouverture de cette information judiciaire, deux magistrats ont signé une ordonnance de non-lieu, aucune mise en examen n'ayant été prononcée lors de l'instruction.

Selon eux, cette dernière n'a pas établi la participation directe des forces militaires françaises à des exactions commises dans des camps de réfugiés, ni aucune complicité par aide ou assistance aux forces génocidaires ou complicité par abstention des militaires français sur les collines de Bisesero.

Les parties civiles ont fait appel de ce non-lieu, contestant tout d'abord la régularité de cette ordonnance.

En juin 2022, une synthèse du rapport de la commission présidée par l'historien Vincent Duclert, publié fin avril 2021 et qui a notamment pointé "l'échec profond" de la France lors des massacres de Bisesero, avait en effet été versée au dossier d'instruction à la demande d'un des magistrats instructeurs.

Pour les parties civiles, cet acte relançait de fait les investigations, qui avaient été clôturées en juillet 2018. Mais deux mois plus tard, l'ordonnance de non-lieu était rendue.

Les parties civiles ont fait valoir lors d'une audience mi-mai que les juges d'instruction auraient dû notifier un nouvel avis de clôture des investigations avant d'ordonner ce non-lieu, une position suivie par la chambre de l'instruction, conformément aux réquisitions du parquet général.

- "Bataille judiciaire" -

"Cette décision souligne que le juge n'a pas suffisamment tiré de conséquences du rapport Duclert", a estimé dans un communiqué Me Eric Plouvier, avocat de l'association Survie.

"Force est de constater que nous repartons pour des mois voire des années de bataille judiciaire, pour tenter d'arracher la seule chose qui compte à nos yeux: la fin de l'impunité dont jouissent les responsables militaires et politiques dans ce dossier", a pour sa part déclaré Me Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l'Homme et président d'honneur de la Fédération internationale des droits humains.

Ce retour aux juges d'instruction permet aux parties de refaire des demandes d'actes.

"Nous n'avons jamais pu présenter les points importants et remonter jusqu'aux responsabilités parisiennes", a expliqué à l'AFP François Graner, historien et membre de Survie, qui espère que la justice s'intéressera aux documents dont l'accès lui avait été refusé mais que les historiens de la commission Duclert avaient pu consulter.

Les parties civiles réclament depuis des années un procès non seulement contre les militaires mais également contre des membres de l'entourage de l'ancien président François Mitterrand, jamais visés par l'enquête.

"Le rapport Duclert n'apporte rien de plus sur les faits et les responsabilités pénales des officiers mis en cause", a estimé de son côté Me Emmanuel Bidanda, avocat du colonel Jacques Rosier, chef des opérations spéciales présent à Bisesero, déplorant "une manoeuvre dilatoire des parties civiles".

Me Pierre-Olivier Lambert, conseil de trois des officiers généraux, dont le chef de Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, a dit "regretter vivement que ce dossier ne soit pas bouclé après 18 ans de procédure" et dénoncé "une instrumentalisation de la part de certains collectifs de victimes pour prolonger indéfiniment les accusations contre les militaires français alors même que l'enquête a amené une absence totale de charges à leur encontre".

Selon l'ONU, les massacres ont fait plus de 800.000 morts au Rwanda entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.

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