Génocide au Rwanda: la justice française annule le non-lieu dans l'enquête sur le massacre de Bisesero

Des juges parisiens vont de nouveau se pencher sur le rôle de la France pendant le génocide au Rwanda : la justice a annulé mercredi le non-lieu prononcé dans l'enquête sur l'inaction reprochée à l'armée française lors des massacres de Bisesero fin juin 1994.

Cette enquête sur un des épisodes les plus sensibles du génocide avait été ouverte en 2005 après la plainte d'associations (Survie, FIDH, Ibuka) et de rescapés selon qui les forces de la mission militaro-humanitaire française Turquoise auraient, du 27 au 30 juin 1994, sciemment abandonné les civils tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero, dans l'ouest du pays, laissant se perpétrer le massacre de centaines d'entre eux.

Début septembre 2022, les deux magistrats en charge des investigations avaient rendu une ordonnance de non-lieu, assurant que leur enquête, formellement close en juillet 2018, n'avait pas établi la participation directe des forces militaires françaises à ces exactions, pas plus que leur complicité par aide ou assistance aux génocidaires.

Les parties civiles avaient aussitôt fait appel de cette décision, assurant que les juges n'avaient pas tenu suffisamment compte de la synthèse, publiée fin avril 2021, du rapport d'une commission d'historiens qui avait pointé "l'échec profond" de la France lors des massacres de Bisesero.

Pour les parties civiles, ces travaux basés sur un accès inédit aux archives françaises relançaient de fait l'enquête et auraient dû conduire les juges à notifier un nouvel avis de clôture des investigations après celui de juillet 2018.

Selon plusieurs sources proches du dossier, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris leur a donné raison mercredi en annulant le non-lieu pour un motif procédural et en renvoyant l'affaire aux juges d'instruction du pôle crimes contre l'humanité du tribunal judiciaire de Paris.

- "Bataille judiciaire" -

"Cette décision souligne que le juge n'a pas suffisamment tiré de conséquences du rapport Duclert", a estimé dans un communiqué Me Eric Plouvier, avocat de l'association Survie.

"Nous repartons pour des mois voire des années de bataille judiciaire, pour tenter d'arracher la seule chose qui compte à nos yeux: la fin de l'impunité dont jouissent les responsables militaires et politiques dans ce dossier", a pour sa part déclaré Me Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des droits humains (FIDH).

Ce retour aux juges d'instruction permet aux parties de refaire des demandes d'actes.

"Nous n'avons jamais pu présenter les points importants et remonter jusqu'aux responsabilités parisiennes", a expliqué à l'AFP François Graner, historien et membre de Survie. Il espère que la justice s'intéressera aux documents dont l'accès lui avait été refusé mais que la commission présidée par l'historien Vincent Duclert avait pu consulter.

Les parties civiles réclament depuis des années un procès non seulement contre les militaires mais également contre des membres de l'entourage de l'ancien président François Mitterrand, au pouvoir pendant le génocide, jamais visés par l'enquête.

"Le rapport Duclert n'apporte rien de plus sur les faits et les responsabilités pénales des officiers mis en cause", a répliqué Me Emmanuel Bidanda, avocat du colonel Jacques Rosier, chef des opérations spéciales présent à Bisesero, déplorant "une manoeuvre dilatoire des parties civiles".

Me Pierre-Olivier Lambert, conseil de trois des officiers généraux, dont le chef de Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, a dit "regretter vivement que ce dossier ne soit pas bouclé après 18 ans de procédure" et dénoncé "une instrumentalisation de la part de certains collectifs de victimes pour prolonger indéfiniment les accusations contre les militaires français alors même que l'enquête a amené une absence totale de charges à leur encontre".

Selon l'ONU, les massacres ont fait plus de 800.000 morts au Rwanda entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.

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