25.02.10 - TPIR/EDITION - ANDRE GUICHAOUA PUBLIE SON ENQUETE SUR L'HISTOIRE DU RWANDA

Le sociologue et expert auprès du procureur du tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), André Guichaoua, publie le 25 février 2010, « De la guerre au génocide, les politiques criminelles au Rwanda », un ouvrage de 600 pages augmenté de près de 2000 documents, accessibles sur un site internet créé à cet effet (www.rwandadelaguerreaugenocide.fr).

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Présent à Kigali, au titre de la coopération suisse, le 6 avril 1994, l'auteur s'appuie sur les milliers de témoignages entendus devant le TPIR et quinze années d'enquête conduites au Rwanda et ailleurs pour le procureur. L'ouvrage livre une histoire minutieuse du Rwanda de 1990 à 1994, et propose une vision claire des mécanismes de la guerre enclenchée en 1990 par les tutsis du FPR puis du génocide perpétré par les extrémistes hutus, à partir du 12 avril 1994, selon l'auteur.

Il s'oppose à une vision calquée sur la conception nazie du génocide des juifs, qui a conduit le parquet d'Arusha à de nombreux échecs. « Le génocide au quotidien fut le résultat de multiples décisions qui ne renvoyaient pas à chaque instant à un concepteur unique ou à un projet intemporel ».

Le génocide aurait pu être évité

Entre le 6 et le 12 avril 1004, estime l'auteur, la tragédie rwandaise aurait pu être évitée.   Les hommes de la Mission des Nations unies au Rwanda (Minuar) auraient eu la capacité d'intervenir s'ils avaient été épaulés par les forces envoyées pour évacuer les expatriés. Ensemble, ils auraient pu mettre un terme aux tueries ciblées perpétrées entre le 6 avril, jour de l'attentat contre le président Juvénal Habyarimana, et le 12 avril, jour où « le génocide devient une politique d'état ».   

A la mort du président Habyarimana, « les officiers adoubés » par le clan présidentiel, dont les deux acteurs clés sont Agathe Kanziga - veuve de Juvénal Habyarimana - et son frère, Protais Zigiranyirazo, tentent un putsch. A leur tête figure Théoneste Bagosora, officier chargé de préserver l'héritage et d'empêcher que « le pouvoir échappe au clan présidentiel », l'Akazu. Sans succès. Un gouvernement intérimaire qui « était bien celui voulu par les composantes civiles et militaires de l'Akazu » est cependant formé dans les jardins de l'ambassade de France. Car pendant qu'une partie de la Garde présidentielle assassine les « démocrates », dont la première ministre Agathe Uwilingiyimana, d'autres membres de la Garde présidentielle escortent jusqu'à l'ambassade de France « les composantes ‘les plus extrémistes' du gouvernement sortant ». Son ambassadeur, Jean-Michel Marlaud, cautionne l'installation du gouvernement intérimaire, tout en procédant à une sélection des candidats rwandais à l'évacuation.

Jusqu'au 12 avril, les massacres touchent la seule ville de Kigali. Ce jour là, « le temps fut comme suspendu, car le champ des possibles n'était pas encore refermé ». Mais le départ des derniers expatriés, la fuite du gouvernement intérimaire et les tentatives ratées de cessez-le-feu avec le Front patriotique rwandais ferment le champ. « Le mouvement rebelle issu de la diaspora tutsi n'est pas entré en guerre ni ne l'a conduite pour ‘sauver les Tutsi', il s'est emparé par la force du pouvoir à Kigali, au prix de la vie de ses compatriotes » tandis qu'en face, « le noyau des personnalités qui avaient déclenché les assassinats et les massacres, et en premier lieu Bagosora, Ntabakuze, Mpiranya et Nzirorera, ne pouvait tolérer que la moindre ouverture politique prenne corps ». Ce 12 avril, « le génocide devient une politique d'état ».

L'attentat du 6 avril attribué au FPR

Avec cet ouvrage très dense, l'auteur fait aussi le constat d'une justice tronquée par ses procureurs successifs, qui, à ce jour, est passée à côté de responsables clés : ni les membres du clan présidentiel, ni ceux du FPR n'ont répondu de leurs crimes. Les poursuites engagées contre Protais Zigyiranirazo se sont soldées par un acquittement, faute de preuves solides. Celles contre Agathe Kanziga sont inexistantes au TPIR. « Soit ni le Tribunal ni les juridictions nationales concernées (...) ne disposent d'éléments susceptibles de nourrir une accusation. Soit ils ne veulent pas poursuivre ces personnalités pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la justice », estime l'auteur. Pour André Guichaoua, Kigali n'y a pas intérêt, car cela relancerait inévitablement la question de l'attentat, que l'auteur attribue au FPR.

Malgré l'ouverture d'une enquête sur les crimes du FPR, qui aurait commis de nombreux  massacres lors de sa conquête du pouvoir, le TPIR, soumis aux pressions de Kigali, n'a engagé aucune poursuite. Victime d'une « solidarité conflictuelle » avec Kigali, le TPIR n'est pas parvenu à prendre ses distances face au « ressort » - actionné par « les chefs victorieux » du FPR - « de la culpabilité d'un monde qui avait détourné les yeux du génocide ». Pour André Guichaoua « la ‘guerre de la mémoire' continuera donc, puisque le travail de vérité n'a pas été mené à terme par la seule instance qui avait le mandat et l'autorité pour juger les auteurs de tous les crimes commis au cours de ce conflit ».

André Guichaoua, De la guerre au génocide, les politiques criminelles au Rwanda, éditions La Découverte.

SM/GF

  

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