Trial International, l'ONG suisse sur la trace des criminels de guerre

Depuis une vingtaine d'années, en toute discrétion, l'ONG Trial International traque les criminels de guerre où qu'ils soient dans le monde, à l'image d'un Gambien condamné à perpétuité jeudi en Allemagne.

Elle s'appuie sur la compétence universelle, un concept juridique qui permet à un Etat de poursuivre certains crimes où qu'ils aient été commis et sans considération pour la nationalité des auteurs ou des victimes.

Dans ce cadre, "une quinzaine de dossiers que nous avons déposés sont actuellement en cours devant cinq autorités nationales: France, Suisse, Allemagne, Etats-Unis, Suède", a expliqué Philip Grant, le directeur de Trial, qu'il a co-fondée en 2002 à Genève, lors d'un entretien avec l'AFP cette semaine.

Dans le cas du Gambien, Trial avait avec d'autres ONG contacté les autorités allemandes dès août 2019 pour leur signaler sa présence sur leur territoire.

"Il y a en Europe des centaines voire probablement des milliers de suspects. La question est de savoir comment on arrive à les repérer", ajoute le quinquagénaire, avocat de formation, né de père écossais et mère suisse.

Informateurs, journalistes, ONG partenaires... les possibilités de dénicher les criminels de guerre en dehors de leur pays ne manquent pas.

Le hasard aide aussi: les victimes rencontrent parfois leurs bourreaux dans la rue ou dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile.

- Le hasard -

"Il y a une douzaine d'années, des Algériens en exil nous ont informés avoir aperçu l'ancien ministre de la Défense algérien Khaled Nezzar sortant d'une banque de la place (financière) genevoise. M. Nezzar, ministre de la Défense au moment du début de la guerre civile en Algérie, est aujourd'hui poursuivi et devrait normalement être renvoyé en procès", pour crimes contre l'humanité, explique M. Grant.

Autre exemple, il y a quasiment dix ans jour pour jour, Trial, alertée par des Syriens vivant à Genève, avait retrouvé la trace dans un grand hôtel genevois de Rifaat al-Assad, l'oncle du président syrien Bachar al-Assad.

Depuis la justice suisse a lancé en 2022 un avis de recherche contre Rifaat al-Assad pour des crimes de guerre commis à Hama en 1982.

Lorsque l'ONG dispose d'une preuve, une photo par exemple, de la présence d'un possible criminel de guerre en Suisse ou dans un autre pays, elle le signale aux autorités judiciaires qui décident d'agir ou pas, au nom de la compétence universelle.

Cette traque a toutefois ses limites, les chefs d'Etat ou de gouvernement, ministre des Affaires étrangères ou autres diplomates étant immunisés contre les poursuites.

Et Trial International s'abstient de déposer des plaintes lorsque de possibles suspects - peu importe qu'ils soient membre d'un gouvernement ou chef d'un groupe rebelle - viennent en Suisse, où siègent de nombreuses organisations internationales dont l'ONU et le Comité international de la Croix-Rouge, pour des négociations de paix, afin d'éviter de les faire "capoter", relève M. Grant.

- Pinochet -

Avec l'invasion russe en Ukraine et la guerre à Gaza, la question des crimes de guerre revient au premier plan. Mais pour M. Grant, chasser les criminels de guerre est une seconde nature, une vocation qui s'est révélée lors de l'arrestation de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet à Londres en 1998.

Quatre ans après, Trial naissait.

Face à l'immensité de la tâche, l'ONG, dotée de seulement une quarantaine de collaborateurs dont la moitié sont des juristes, espère que son travail visant à "aiguiller" et faire pression sur la justice est source d'inspiration.

"Vous avez tout le monde qui parle justice aujourd'hui mais très peu qui sont capables de participer à un réel effort qui amène à des jugements et à des réparations pour les victimes", observe M. Grant.

La traque des criminels de guerre loin de leur pays d'origine ne représente qu'une petite partie du travail de l'organisation, l'essentiel se faisant dans les pays en conflit ou dans des situations post-conflits à travers notamment la formation de magistrats.

Trial a ainsi travaillé pendant des années au Burundi et au Népal. Elle dispose d'une antenne en Bosnie-Herzégovine et de deux bureaux en République démocratique du Congo et s'apprête à ouvrir un programme sur l'Ukraine.

Soutenue par des financements publics, dont l'ONU et l'UE, et privés, l'organisation vient en aide gratuitement aux victimes. Elle a ainsi représenté plus de 8.100 victimes devant les juridictions nationales et internationales, formé plus de 2.700 spécialistes du droit et participé à un peu moins d'une centaine de procès.

Justice Info est sur WhatsApp
Découvrez notre première Chaîne WhatsApp et recevez, en temps réel, une notification pour chaque publication mise en ligne sur notre site, avec un résumé et des extraits ou citations. Chaque soir, vous aurez accès à notre revue des dépêches AFP du jour. Chaque fin de semaine, un récapitulatif de nos publications.