Ils ont été frappés, pendus des heures par les bras ou électrocutés. Au procès pour complicité de crimes contre l'humanité de trois hauts responsables du régime de Bachar al-Assad, plusieurs rescapés des geôles syriennes ont raconté jeudi les tortures qu'ils ont subies.
Depuis mardi, la cour d'assises de Paris juge, par défaut, Ali Mamlouk, ex-chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie, Jamil Hassan, ex-directeur des services de renseignements de l'armée de l'air, et Abdel Salam Mahmoud, ex-directeur de la branche investigation de ces services.
Ces trois hommes sont soupçonnés d'avoir joué un rôle dans la disparition forcée et la mort de Mazzen Dabbagh et de son fils Patrick.
Ces deux Franco-Syriens ont été arrêtés à Damas en 2013 et transférés dans le centre de détention de l'aéroport de Mezzeh, tenu par les redoutés services de renseignement de l'armée de l'air. Ils n'ont plus donné signe de vie jusqu'à être déclarés morts en août 2018.
Au-delà de leur cas, c'est le caractère massif et systématique des exactions commises par le régime syrien sur sa population civile qui anime les débats de ce procès inédit dans l'histoire de la justice française.
Pour Obeïda Dabbagh, frère et oncle des victimes qui mène un combat pour la vérité depuis dix ans, Patrick et Mazzen sont "les porte-parole des centaines de milliers de Syriens qui ont subi le même sort qu'eux".
"J'espère que la communauté internationale pourra un jour s'attaquer carrément à la tête de ce régime", déclare-t-il devant la cour.
Avant son intervention, plusieurs Syriens, aujourd'hui réfugiés en France, se sont succédé à la barre pour témoigner des tortures subies notamment dans le centre de détention de Mezzeh.
A l'image d'Abdul Rahman, arrêté deux fois par les services de renseignements syriens, qui livre son récit d'une voix presque inaudible.
La première fois en avril 2011, les agents tentent de savoir où se trouvent son frère et sa belle-soeur, une avocate renommée. "J'ai subi des tortures du matin au soir", relate-t-il. "On me menaçait de m'arracher les ongles, m'arracher les cheveux".
Libéré au bout d'une quarantaine de jours, il est de nouveau arrêté en 2012, de nouveau conduit à Mezzeh.
- "Hurler sous la torture" -
Placé dans une première cellule, il est transféré au bout de quelques jours dans une autre, d'une superficie d'1,5 m2, avec six autres personnes.
"On n'arrivait pas à dormir", se souvient-il. "Il fallait qu'une personne soit debout pour que d'autres puissent se reposer, à tour de rôle". Il sera ensuite détenu dans d'autres centres et libéré environ un an plus tard.
Nasser, 40 ans, a lui passé trois mois à Mezzeh. Fils et frère d'opposants au régime, il est interpellé le 9 mai 2011 et placé dans une cellule de pas plus de 40 m2, avec environ... 120 autres personnes.
"Le lendemain ou le surlendemain, ils ont commencé à me tabasser, j'ai perdu mes dents", témoigne-t-il.
Il raconte avoir été interrogé, des semaines plus tard, par Jamil Hassan en personne, qui lui demande où se trouvent ses proches. "J'ai répondu +vous me posez encore les mêmes questions au bout de deux mois alors que je ne sais pas+".
Jamil Hassan ordonne alors à ses agents de s'occuper de lui. "Il leur a dit littéralement: +je veux l'entendre hurler sous la torture+".
"On m'a mis une corde autour des mains, j'ai été attaché, suspendu", poursuit Nasser, "on m'a laissé suspendu comme ça jusqu'au lendemain".
Quand on lui demande de baisser les bras pour enlever ses liens, il n'y arrive pas, ses bras sont trop endoloris.
"Mon geôlier m'a baissé les bras de force, j'ai eu un déboitement des deux épaules", dit le témoin, qui confie avoir aussi été électrocuté sur les parties génitales.
Mercredi, une douzaine de photos issues du dossier César, du nom d'un ex-photographe de la police militaire qui s'est enfui de Syrie en 2013 en emportant 55.000 photographies effroyables de corps torturés, ont été diffusées à l'audience.
Ces clichés montrent des corps d'hommes décharnés, portant des traces de coups et de blessures.
"Cette machine de torture, il faut qu'elle s'arrête", exhorte Hanane Dabbagh, l'épouse d'Obeïda.