20.06.11 - FRANCE/RWANDA - AUDIENCE ANIMEE AUTOUR DE LA DIFFUSION D'UN DOCUMENTAIRE SUR LE GENOCIDE

Paris, 20 juin 2011 (FH) - Visionner un documentaire avant sa  diffusion serait "trop dangereux pour la liberté de la presse" selon  l'avocat de la société de production Tony Comiti, attaquée en justice  par trois Rwandais suspectés de génocide, avant la diffusion du  documentaire "Génocide au Rwanda : des  tueurs parmi nous ?" le 28  juin prochain sur France 2.

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La plainte des trois suspects, qui demandent à visionner le  documentaire, a été entendue lundi au cours d'une longue audience,  par le premier vice-président du Tribunal de grande instance de  Paris, Emmanuel Binoche.

"Il ne s'agit pas d'une enquête sérieuse", a attaqué Me Philippe  Meilhac, l'avocat d'Agathe Habyarimana, la veuve de l'ancien  président rwandais qui est mise en cause dans ce documentaire.

"M. Manolo d'Arthuys a su créer un climat de confiance, il a assuré  qu'il ne cherchait pas à la piéger, qu'il allait faire son travail  d'enquêteur et il a réussi à la convaincre", a reproché l'avocat au  réalisateur, qui n'assistait pas à l'audience.

C'est un entretien donné par le réalisateur au magazine Télé Obs, le  28 mai, qui a déclenché l'action judiciaire des Rwandais, indiquent  les plaignants.

"L'interview du Nouvel Observateur témoigne d'un parti pris", estime  Me Richard Sédillot, avocat d'un deuxième plaignant, Charles Twagira.  "M. d'Arthuys a fait une oeuvre un peu rapide qui démontre un manque  de subtilité, avec des conclusions péremptoires dans les communiqués  de presse", a-t-il argumenté.

Me Ludovic Rivière, l'avocat du troisième plaignant, Marcel  Bivugabagabo enfonce le clou : "Mon client a une copie de l'entretien  qu'il a accordé. J'ai été choqué par les techniques d'interrogatoire,  pas d'interview, de Manolo d'Arthuys. Lorsque mon client lui dit  qu'il ne peut se défendre car on ne l'accuse pas, il lui répond ‘si  le problème c'est de ne pas avoir d'accusateur, à ce moment-là, moi  je vous accuse' !"

"C'est délirant, c'est du spectacle, et ça va être diffusé sur le service public français !", s'exclame Me Rivière.

Avocat spécialiste du droit de la presse, Richard Malka assure la  défense de la société de production Tony Comiti.

Pour lui, les plaignants "on  trouvé un instrument, la présomption d'innocence". "Ces gens là ne sont pas jugés en France, pas jugés au Rwanda parce que l'on ne peut  pas les extrader, et en plus il serait impossible d'enquêter sur  eux ! Ce n'est pas la présomption d'innocence que l'on vous demande,  M. le président c'est l'impunité !"

"On nous dit que l'on veut visionner, mais ce n'est pas pour rien. En  réalité, on demande le rétablissement d'un contrôle préventif. Qu'allez vous répondre quand on vous demandera de pouvoir lire à  l'avance les livres qui sont en train de s'écrire sur l'affaire  DSK ?!", interpelle Me Malka.

"La règle c'est la condamnation après, mais on ne contrôle pas avant,  c'est trop dangereux", estime l'avocat. La jurisprudence indique  clairement, selon lui, qu'"il suffit de précautions de style, d'user  de conditionnel, mais [que] rien n'interdit que des personnes soient  mises en cause dans un documentaire".

Au début de l'émission, souligne Me Malka, un document préventif sera  inséré à l'intention du téléspectateur : "Pendant 15 secondes on va  dire au début qu'ils sont présumés innocents."

"Mais là ce que je vois, sur cette capture d'écran, c'est un string  juridique !", s'insurge Me Florence Bourg en brandissant le document.  "Un simple avertissement ne suffit pas à rétablir la présomption  d'innocence."

"Il s'agit de faire la balance entre deux normes : la liberté  d'expression et l'atteinte à la présomption d'innocence," souligne  l'avocate. "C'est une révolution du droit de la presse et de la  présomption d'innocence que l'on vous demande !", lui rétorque Me Malka.

"Ils ont accepté de témoigner, mais ensuite ils regrettent", résume  l'avocat de France Télévisions, Me Eric Andrieu.

"Oui peut-être que ces personnes vont être présentées de façon  défavorable. Mais cela relève de la diffamation, là ce n'est pas le  moment. Si vous faites droit à cette demande, notre contentieux va  s'agrandir de façon phénoménale car tout un chacun va s'en saisir,"  s'inquiète Me Andrieu.

Interrogée après l'audience, Me Bourg juge très faibles les chances pour les Rwandais d'obtenir un visionnage avant diffusion de l'émission.

"La jurisprudence est très protectrice du droit de la presse. Si on a  le visionnage, c'est exceptionnel. Si on ne l'a pas c'est normal. Mais au moins cela nous aura permis d'obtenir cet avertissement au  début de l'émission."

La décision sera rendue jeudi.

FP/ER/GF

© Agence Hirondelle