L'Ukraine ouvre la voie face aux violences sexuelles en temps de guerre, estime le Nobel Denis Mukwege

L'indemnisation par l'Ukraine des victimes de violences sexuelles dans son conflit avec la Russie pourra servir de feuille de route à travers le monde, a affirmé à l'AFP Denis Mukwege, gynécologue et prix Nobel de la paix.

Le médecin de 69 ans, lauréat du Nobel en 2018 pour son action auprès des femmes victimes de viols en temps de guerre, a pour surnom "l'homme qui répare les femmes", hérité d'un documentaire qui lui a été consacré.

Dans sa République démocratique du Congo natale, déchirée par la violence depuis des années, ce médecin a soigné des dizaines de milliers de femmes violées ou mutilées.

Denis Mukwege considère que le combat contre ce fléau des violences sexuelles en temps de guerre passe par une plus grande pression internationale pour punir les responsables et que les victimes n'aient pas à attendre des années.

"Aujourd'hui nous savons que la violence sexuelle se passe dans tous les conflits", a-t-il dit, faisant par exemple référence à "ce qui s'est passé le 7 octobre en Israël ou ce qui se passe dans la bande de Gaza", a-t-il dit à l'AFP, lors d'une interview à Los Angeles.

Selon le médecin, "il faut absolument pouvoir développer des programmes de réparations dans les pays pour permettre que lorsque les femmes subissent ces viols et que la communauté ne les a pas protégées, qu'au moins la communauté puisse pouvoir réparer ce qui a été commis".

- 500 victimes indemnisées -

En ce sens, le gynécologue salue l'initiative de Kiev, qui travaille avec le Fonds mondial pour les survivantes, créé par Denis Mukwege et Nadia Murad, elle-même victime de violence sexuelle et avec qui il a partagé le prix Nobel de la paix en 2018.

Selon les Nations unies la Russie a commis à répétition des crimes de guerre et des violations des droits de l'Homme dans sa guerre en Ukraine.

L'Ukraine sera le premier pays en guerre à offrir une compensation à 500 victimes de violences sexuelles, lance M. Mukwege.

Le projet de Kiev représente "un bon exemple qu'on peut copier", estime le médecin, et ce afin de montrer aux Etats qu'il est possible d'agir rapidement. "Les victimes ne peuvent pas attendre que la guerre soit terminée", dit-il.

"Si on leur demande d'attendre la fin de la guerre, beaucoup peuvent disparaître avant que la guerre soit terminée. Elles peuvent mourir des maladies, (...). Elles peuvent tout simplement mourir par l'exclusion."

- Lutter contre l'impunité -

En RDC, le Dr Mukwege soigne depuis plus de vingt ans dans sa clinique de Panzi des femmes victimes de viols utilisés comme arme de guerre, dans un pays en proie aux violences de groupes armés.

"Quand j'ai soigné la première victime, j'étais presque certain que c'était une question ponctuelle, pas que cela allait durer 25 ans", a-t-il dit à l'AFP lors d'une cérémonie à Los Angeles où il a reçu un prix célébrant chaque année les militants et travailleurs humanitaires.

"La guerre a tout transformé dans ma vie".

Dans une interview au New York Times, le gynécologue a même affirmé pouvoir reconnaître l'origine des victimes grâce aux types de blessures.

"A Bunyakiri, ils brûlent les fesses des femmes. A Fizi-Baraka, ils tirent sur leurs parties génitales. A Shabunda, ce sont des baïonnettes"

L'horreur de ce qu'il soigne est tempérée par le courage des victimes, dont certaines se servent de leur expérience pour en aider d'autres.

Mais l'hôpital et son travail l'ont rendu impopulaire dans certains milieux. Il a fait l'objet d'au moins une tentative d'assassinat et, lorsqu'il s'est présenté à la présidence de la République démocratique du Congo, il a officiellement engrangé seulement 0,22% des voix.

Face à ce qu'il voit, il oscille entre frustration et optimisme.

"Si on ne lutte pas contre l'impunité, l'avenir est sombre".

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