La Chine déploie un nombre croissant d'organisations se faisant passer pour des ONG dans les instances de l'Onu pour intimider et surveiller les militants défenseurs des droits de l'homme, dévoile le consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) dans une enquête rendue publique lundi.
L'un des volets de l'enquête, baptisée "China targets" et fruit du travail de 42 médias, porte sur l'offensive de Pékin au sein du Conseil des droits de l'homme des Nations unies à Genève.
Des organisations non gouvernementales pro-chinoises investissent les sessions du Conseil pour faire l'éloge de la Chine et présenter des compte-rendus dithyrambiques de ses actions, en contradiction totale avec les conclusions des experts et des rapports de l'Onu faisant état de violations généralisées des droits de l'homme.
Un rapport accablant publié par l'ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme Michelle Bachelet en 2022 avait évoqué de possibles "crimes contre l'humanité" contre la minorité ouïghoure dans la région du Xinjiang, dans l'ouest de la Chine.
D'autres rapports ont évoqué la séparation des enfants tibétains de leurs familles ou le harcèlement à l'encontre des défenseurs de la démocratie à Hong Kong.
Mais lorsque des ONG légitimes soulèvent de tels problèmes au Conseil, les organisations pro-chinoises tentent de perturber la session, selon le consortium.
Selon l'ICIJ, sur 106 ONG de Chine continentale, de Hong Kong, de Macao et de Taïwan enregistrées auprès de l'Onu, 59 entretiennent des liens étroits avec le gouvernement ou le Parti communiste chinois.
Lors d'un examen régulier en 2024 du bilan de la Chine en matière de droits de l'homme, auquel a assisté l'AFP, plus de la moitié des ONG qui se sont vu accorder un temps de parole étaient des organisations pro-Pékin.
"C'est corrosif. C'est malhonnête", a réagi Michele Taylor, ambassadrice des Etats-Unis au Conseil des droits de l'homme de 2022 jusqu'à janvier 2025.
Citée par le rapport de l'ICIJ, elle dénonce les efforts des autorités chinoises "pour masquer leurs propres violations des droits de l'homme et remodeler le récit".
Par ailleurs, l'ICIJ et ses partenaires se sont entretenus avec quinze militants et avocats spécialisés dans les questions de droits de l'homme en Chine qui ont assuré "avoir été surveillés ou harcelés par des gens soupçonnés d'être missionnés par le gouvernement chinois" dans les locaux de l'Onu et ailleurs à Genève.
- 'Nous vous surveillons' -
Selon le rapport, en mars 2024, un groupe de dissidents chinois, redoutant la présence de pro-chinois dans le bâtiment du Conseil, ont préféré "tenir une réunion secrète au dernier étage d'un immeuble de bureaux banal à proximité" avec le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Turk.
Quatre personnes affirmant travailler pour l'Association des droits de l'homme du Guangdong sont alors apparues, posant des questions sur la réunion à laquelle elles n'étaient pas conviées et dont ses organisateurs ont nié l'existence.
Plus tard, quand deux participants ouïghours sont sortis de la réunion pour fumer, ils ont vu quelqu'un, à bord d'une voiture noire aux vitres teintées, en train de les photographier au moment où des personnes correspondant à la description des membres de l'Association des droits de l'homme du Guangdong sont montées à bord.
Pour Zumretay Arkin, vice-présidente du Congrès mondial ouïghour, il s'agissait d'un message de Pékin: "Nous vous surveillons ... Vous ne pouvez pas nous échapper".
- 'Des représailles meurtrières' -
Il y a plus de dix ans, la militante Cao Shunli a été arrêtée alors qu'elle tentait de se rendre à Genève pour le bilan des droits de l'homme en Chine à l'ONU.
Après avoir été détenue pendant plusieurs mois sans inculpation, elle est tombée gravement malade et est morte le 14 mars 2014.
"Des représailles meurtrières" qui ont dissuadé d'autres militants de s'engager auprès de l'Onu, estime l'ICIJ.
Dix ans plus tard, le nombre de défenseurs des droits de l'homme chinois participant aux activités de l'Onu est historiquement bas, selon l'enquête.
Mais le nombre d'ONG chinoises enregistrées à l'ONU a presque doublé depuis 2018.