Le Kenya est "en pleine tourmente" du fait de la corruption, de meurtres commis par la police et du déclin économique, dénonce dans un entretien accordé à l'AFP la candidate d'opposition Martha Karua, l'une des premières à se déclarer pour la présidentielle de 2027.
Ancienne ministre dans les années 2000, Mme Karua a récemment défendu, en tant qu'avocate, des personnalités de l'opposition emprisonnées en Tanzanie et en Ouganda, deux pays voisins.
Elle espère exploiter "la colère et la frustration" contre le président kényan William Ruto, qui s'est répandue dans les rues l'été dernier lors de manifestations massives contre les hausses d'impôts et la corruption.
"Nous sommes en pleine tourmente. C'est comme si notre Constitution avait été suspendue", critique-t-elle. "Nous avons des enlèvements, des arrestations arbitraires, des exécutions extrajudiciaires... Et la police et les autorités ne prennent pas leurs responsabilités."
Selon des groupes de défense des droits humains, au moins 60 personnes ont été tuées lors des protestations de juin et juillet derniers, et au moins 89 enlevées depuis lors, 29 étant toujours portées disparues. La police nie toute implication. L'enquête sur ces affaires n'a guère progressé.
"Ruto a été une grave erreur dès le départ", affirme Mme Karua, qui dénonce son implication passée dans "beaucoup de pactes de corruption louches" et son bilan en terme de "violations des droits humains". "Ceux d'entre nous qui ont travaillé avec lui et qui le connaissent savaient qu'il serait un désastre", assure-t-elle.
Un porte-parole de la présidence a déclaré que les enlèvements et les meurtres étaient strictement du ressort de la police.
- "Bouée de sauvetage" -
Mme Karua s'était présentée contre M. Ruto aux élections de 2022, en tant que candidate à la vice-présidence associée au vétéran politique Raila Odinga. Elle fait désormais partie d'un large groupe de personnalités de l'opposition s'activant en vue du scrutin de 2027, qui sera également accompagné de législatives.
Sa première priorité serait de "colmater les brèches" pour "stopper l'hémorragie de fonds publics" liée à la corruption et de maîtriser la dette nationale, a-t-elle déclaré. Des emprunts massifs ont laissé au Kenya une dette de quelque 85 milliards de dollars, qui l'oblige à payer plus d'intérêts qu'il n'en consacre à la santé et à l'éducation.
"La lutte contre la corruption est (notre) seule bouée de sauvetage", insiste Martha Karua. "Sinon, tout ce que nous collectons, tout ce que nous empruntons, sera toujours perdu et nous ne pourrons jamais sortir les Kényans de la misère."
Mme Karua a été ministre de la Justice au milieu des années 2000, sous la présidence de Mwai Kibaki (2002-2013). Le gouvernement dont elle faisait partie avait mené avec succès la lutte contre la prévarication, assure-t-elle, tout en admettant que celle-ci était "revenue vers la fin".
Mme Karua avait démissionné de ce gouvernement en 2009, accusant certains de ses collègues de s'opposer aux réformes judiciaires qu'elle poussait.
- "Tâche colossale" -
L'ancienne ministre est désormais prête à combattre aux côtés de figures de l'opposition parfois sulfureuses. Tel l'ex-vice-président Rigathi Gachagua, contre qui les accusations de corruption ont également plu et qui, lors de sa destitution en 2024, s'était vu reprocher des menaces envers des juges et des pratiques politiques de division ethnique.
Des alliances critiquables qu'elle ne nie pas, mais qu'elle justifie au nom de la "tâche colossale" consistant à "déloger un gouvernement qui ne respecte pas les règles". "Nous avons besoin de tout le monde", dit-elle.
Mme Karua s'inquiète toutefois des troubles et des fraudes qui pourraient survenir en 2027, alors que les périodes électorales ont régulièrement été sources de violences au Kenya.
William Ruto lui-même avait été accusé par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l'humanité pour celles ayant éclaté après le scrutin de 2007, qui avaient fait plus de 1.100 morts. L'affaire avait finalement été abandonnée pour manque de preuves, la CPI citant l'intimidation des témoins et l'ingérence politique.
Le président kényan a engagé des bandes de "voyous" pour un récent rassemblement politique à Nairobi, accuse encore l'opposante, ce qui a donné lieu à de nombreuses agressions de passants.
M. Ruto "n'engage jamais ni ne paie de personnes pour assister à ses réunions publiques", a répondu le porte-parole de la présidence, évoquant "un mensonge similaire" déjà "créé" par "Martha Karua et son équipe" avant les dernières élections. "Ils ont perdu parce qu'ils ont cru à leurs propres mensonges", a commenté le porte-parole, prédisant une défaite "encore plus retentissante" à venir pour l'opposante.
Combattive, Martha Karua espère un rez-de-marée électoral en sa faveur: "La seule façon de surmonter la manipulation du système électoral par M. Ruto est d'avoir un flot de votes, des nombres écrasants sur lesquels aucune manipulation ne peut avoir d'effet."