L'Ukraine et les pays qui la soutiennent ont donné vendredi leur feu vert au lancement d'un tribunal spécial pour juger, au plus tôt dès 2026, les dirigeants russes coupables de "crime d'agression".
En voici le mode d'emploi.
Pourquoi un nouveau tribunal ?
La Cour pénale internationale est compétente pour juger les crimes de guerre, et a déjà lancé des mandats d'arrêt internationaux contre le président Vladimir Poutine et d'autres responsables russes.
Mais dans le cas d'un crime d'"agression" commis par la Russie, le tribunal ne peut rien faire. Il est en effet nécessaire que le pays sous accusation reconnaisse la Cour, ce qui n'est pas le cas de Moscou, ou d'obtenir l'accord du Conseil de sécurité des Nations unies, où la Russie dispose d'un droit de veto.
A la demande de l'Ukraine, soutenue par une quarantaine de pays, il a donc été décidé de créer un tribunal spécial pour juger entre 20 et 30 responsables russes pour "crime d'agression", afin de combler ce "vide procédural", a expliqué un responsable européen, sous couvert d'anonymat.
- Poutine sera-t-il jugé ? -
En principe rien n'empêche qu'il soit jugé un jour, y compris "in absentia".
Mais en pratique, il est peu probable que cela se produise, tant qu'il reste chef d'Etat. Son immunité présidentielle le protège, ce qui n'empêche pas toutefois le tribunal de rassembler tous les éléments en vue d'un futur procès éventuel. Deux autres responsables russes, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, jouissent de la même immunité, selon ce responsable européen.
En cas de procès, les accusés risquent une peine d'emprisonnement à vie, si l'"extrême gravité" du crime d'agression est reconnue, ou de 30 ans maximum. La confiscation de leurs biens et des amendes sont également possibles, conformément aux règles établissant ce nouveau tribunal. Tous ces biens seront ensuite transférés vers un fonds de compensation au bénéfice de l'Ukraine, pour financer sa reconstruction.
- Comment le tribunal va-t-il fonctionner? -
Une équipe d'enquêteurs, ukrainiens et membres de six pays de l'UE, est au travail et a déjà rassemblé "une quantité très substantielle de preuves", selon ce responsable européen.
Le crime d'"agression" est défini par le recours à la forme armée contre la souveraineté et l'intégrité d'un pays. Ce sont donc les responsables de cette "agression" qui sont jugés et non les auteurs de crimes de guerre éventuellement commis à la suite des opérations militaires, a expliqué ce responsable.
Une fois le tribunal créé, pas avant l'année prochaine, les dossiers seront progressivement transférés aux procureurs du nouveau tribunal, qui bénéficieront de l'appui des juridictions nationales pour leurs propres enquêtes, avant d'éventuelles inculpations.
Si un procès est ouvert "in abstentia", l'accusé, après une éventuelle condamnation, peut demander à être rejugé. Il doit toutefois dans ce cas accepter de se présenter en personne devant le tribunal.
Celui-ci sera mis en place sous les auspices du Conseil de l'Europe, un de ses "pères fondateurs". Il pourrait toutefois s'établir à La Haye, selon ce responsable européen, mais rien n'a encore été décidé.
- Quid de l'engagement américain ? -
Sous la présidence de Joe Biden les Etats-Unis étaient pleinement engagés dans la mise en oeuvre de ce tribunal. Mais la donne a changé depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Aucun représentant américain n'était présent vendredi à Lviv, dans l'ouest de l'Uraine, pour le lancement officiel de ce tribunal.
Les responsables européens conservent toutefois l'espoir que Washington revienne un jour sur sa décision.
En attendant, se pose également la question de l'éventuelle immunité qui pourrait être accordée à certains responsables russes, dont le président Poutine, en cas d'accord de paix. Interrogé sur ce point, le responsable européen s'est refusé à "spéculer".