A Kiev, une exposition pour aider les Ukrainiens à trouver un "troisième souffle"

À pleins poumons, Inna Pourgan pousse un cri déchirant et suraigu: "Ça rend plus léger!", souffle-t-elle dans un sourire. Relâcher la pression en hurlant est une possibilité offerte par une exposition qui attire les foules à Kiev, malgré les récentes attaques russes.

Jurer dans une cabine insonorisée ou se lover contre un chat géant qui ronronne: à travers divers ateliers, l'exposition "Troisième souffle" propose aux Ukrainiens d'explorer le bonheur, la tristesse ou la nostalgie.

Le but, selon sa commissaire Ioulia Soloveï, est d'aider les Ukrainiens à "relâcher la tension, pleurer ou sourire un peu".

Et surtout "donner la force d'aller de l'avant", dit-elle, après plus de trois ans d'invasion russe meurtrière.

Le nom "Troisième souffle" fait référence à la résilience ultime, au-delà du second souffle de l'expression consacrée.

"C'est ce que vivent actuellement les Ukrainiens qui entrent dans la quatrième année d'une guerre totale", explique la jeune directrice à l'AFP.

Pour la création de l'exposition, Ioulia a collaboré avec des psychologues ukrainiens, ainsi qu'avec l'Américain Paul Ekman, pionnier de l'étude des émotions.

Malgré ses 41 ans, Inna y est venue pour tenter de "retourner en enfance" et se sentir un peu "plus heureuse".

Surtout après un week-end d'intenses attaques russes sur l'Ukraine, et notamment sur Kiev.

"Les fenêtres et mon canapé ont tremblé", se remémore l'Ukrainienne, "c'était très stressant, je n'arrivais pas à dormir" à cause du bruit des drones d'attaque et des tirs.

En un mois, près de 100.000 personnes ont déjà franchi le seuil de l'exposition, un succès pour les organisateurs, qui cherchent à sensibiliser aux enjeux de la santé mentale.

Quelque 44 % de la population jugent leur état psychologique insatisfaisant, selon une étude ukrainienne.

- Émotionnellement fermé -

Un casque de réalité virtuelle sur la tête qui les projette sur l'Himalaya, Anastasia Storojenko et son mari Viktor ont un large sourire.

"Si on n'essaie pas de se transporter dans une autre réalité, c'est très difficile", explique la jeune mère de 31 ans, qui cherche à se distraire d'un quotidien "compliqué".

Malgré la guerre, "chaque matin, il faut faire quelque chose, continuer à vivre" au moins pour "son enfant".

Les émotions étaient le coeur de métier d'Anastasia et Viktor, tous deux acteurs avant l'invasion russe de 2022, mais depuis qu'il est parti combattre, Viktor les montre moins.

"Je me suis émotionnellement fermé", explique le jeune homme devenu soldat.

Mais ici, au milieu des décors colorés et lumineux, des rires et de la musique, il retrouve le sourire.

"Ça aide beaucoup, la vie continue... les émotions... ça ne fait plus boum boum boum", tente-t-il d'expliquer avec un regard émerveillé d'enfant, en imitant le bruit des missiles.

Un peu plus loin, certains apprennent à danser, d'autres s'enlacent devant un lever de soleil perpétuel sur écran géant, censé représenter l'espoir.

Une fois l'exposition achevée, ces différents ateliers rejoindront des centres de réhabilitation pour les soldats et les civils en situation de traumatisme.

La moitié du prix du billet d'entrée va à une association qui fabrique des prothèses pour les vétérans mutilés.

- Sensation animale -

Sur un mur noir, des messages à la craie colorée s'enchevêtrent dans un joyeux fouillis : "Je suis vivant", "Je sens les battements de mon coeur", "Bienvenue en territoire contrôlé par l'Ukraine", ainsi que deux ou trois inscriptions laissées par des enfants.

L'exposition veut proposer aux adultes de retrouver leur innocence.

Equipés de bottes en caoutchouc, Natalia Novikova et son mari Vadim pataugent dans une large flaque d'eau créée pour l'événement.

"On peut, pendant un instant, ne pas ressentir la pression qu'on a en étant adulte", lâche Vadim.

Natalia et Vadim sont originaires de territoires ukrainiens occupés par la Russie, lui de Sébastopol, en Crimée, elle de Donetsk, dans l'est, et ont dû fuir.

Elle s'était réfugiée à Boutcha, commune de la banlieue de Kiev où l'armée russe est accusée d'avoir ensuite commis d'atroces crimes de guerre en 2022.

Un bagage lourd, mais que l'exposition a pu alléger un temps.

"Je ne m'attendais pas à ce que ça m'apporte quoi que ce soit, mais en fait c'est génial", explique Natalia à l'AFP, heureuse de ressentir à nouveau une "sensation animale, enfantine".

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