Au-delà du choc d'une peine de prison pour une géante de la politique argentine depuis deux décennies, la condamnation de l'ex-présidente Cristina Kirchner ne bouleverse pas la scène politique, mais pose la question d'éventuelles tensions et des échéances électorales à venir.
Quelle détention ?
Cristina "n'a pas peur" d'aller en prison, a assuré mardi son avocat Carlos Beraldi. Mais "son âge, 72 ans, sa qualité d'ex-présidente, le fait qu'elle ait une sécurité policière permanente" justifient une détention à domicile, dont demande a été déposée dès mardi. Et un bracelet électronique pour la surveiller "n'aurait aucun sens".
L'ancienne cheffe de l'Etat dispose d'un "un délai de cinq jours (ouvrables) pour se présenter" au tribunal, qui dans l'intervalle doit statuer sur les modalités et le lieu de détention, a-t-il ajouté.
Elle a demandé à rester à son domicile dans la capitale, près de chez sa fille, même si elle a aussi un domicile dans le grand sud a Rio Gallegos, à 2.600 km de Buenos Aires.
Ses avocats ont confirmé que sera saisie la justice internationale. D'ores et déja, la Cour pénale internationale (CPI) de le Haye, où se trouvait mercredi l'un des avocats, Gregorio Dalbon, pour dénoncer une "persécution politique" et un processus judiciaire "vicié".
Carlos Belardi a aussi dit anticiper une saisine de la Commission interaméricaine des droits de l'Homme (CIDH). Sans toutefois d'effet suspensif sur la sentence.
Existe aussi la possibilité d'une grâce présidentielle, mais "cela n'a jamais été évoqué", a affirmé mercredi le chef des ministres Guillermo Francos.
Le président "Milei a été très clair, il peut l'octroyer (...) mais pas pour quelqu'un qui a été condamné pour corruption contre l'Etat argentin, contre les Argentins".
- Protestations et tensions ? -
Plusieurs milliers de sympathisants sont restés jusque tard mardi soir devant le domicile de Cristina Kirchner, dans le quartier de Constitucion, chantant et scandant leur soutien sans incident. Ils étaient encore quelques centaines mercredi matin.
Mais un groupe de manifestants s'est introduit dans la nuit dans l'enceinte de la proche chaîne TN, perpétrant des actes de vandalisme dans le lobby et le parking. L'Adepa, association de la presse argentine, a exprimé sa "condamnation catégorique" de l'incident, pour lequel une personne a été interpellée.
Mme Kirchner n'a pas explicitement appelé à la mobilisation contre sa sentence, mais plusieurs de ses partisans, promettaient mardi sous le coup de la colère un "chaos" à venir dans la rue.
Les manifestations récurrentes, comme celle des retraités pour leur pouvoir d'achat tous les mercredis près du Parlement, devraient se voir gonflées de partisans de Cristina. Ce rassemblement devient déjà un point focal des revendications contre l'austérité du gouvernement de l'ultralibéral Milei, agrégeant des secteurs divers, médecins, scientifiques, enseignants.
"Ils peuvent me mettre en prison, mais les gens continueront à gagner des salaires de misère, les retraites ne suffiront toujours pas", a lancé Cristina Kirchner mardi sur un ton de défi.
- Détenue, mais tue ? -
"D'où que je sois, je vais continuer à parler", a-elle prévenu mardi lors d'une réunion de l'état-major du Parti justicialiste (péroniste) dans l'attente du jugement, selon des sources du parti citées dans la presse.
"Elle continuera d'être la leader incontestée, et définira les prochains pas à suivre depuis chez elle", a appuyé sur la chaîne C5N un ex-gouverneur de la province de Buenos Aires et dirigeant péroniste, Felipe Sola.
Pour autant, une inconnue demeure sur son maintien à la tête du parti: si la peine lui interdit à vie une "charge publique", la présidence du parti ne tombe pas explicitement sous ce coup. Mais la difficulté pratique à l'exercer, depuis une détention à domicile, pourrait inciter à un changement.
"Le péronisme va définir comment recomposer sa structure (...) on regardera en spectateurs", a commenté Guillermo Francos.
- A qui profite l'absence ? -
Cristina Kirchner, désormais inéligibile, voit de facto "réduire sa marge de manoeuvre: elle ne peut plus faire peser l'ombre d'une candidature, d'un retour par exemple à la façon Lula au Brésil" après sa condamnation, estime Carlos Fara, analyste politique indépendant.
Mais sans elle, "le gouvernement se retrouve privé d'un élément d'antagonisme qui lui était très utile", considère-t-il aussi. Javier Milei avait déjà dit qu'il trouverait "merveilleux" d'affronter Mme Kirchner à la présidentielle de 2027.
Quid d'élections désormais sans l'épouvantail, ou la "victime" Cristina? Ces derniers jours, avant le jugement, plusieurs sondages convergents en vue des législatives de mi-mandat (un tiers des sénateurs et la moitié des députés) donnaient gagnant le parti de Javier Milei, avec entre 37 à 40% des voix, contre 29 à 32% pour le front péroniste.