Un froid hivernal balaie le cimetière de la ville de Cradock, dans l'est de l'Afrique du Sud, où les tombes non entretenues de quatre militants assassinés il y a 40 ans par le régime de l'apartheid sont surplombées par un monument à leur mémoire. Lui-même en mauvais état.
Dans la ville de Gqeberha, à deux heures de route, les meurtres en 1985 de jeunes hommes dans l'une des tueries les plus notoires de la période de l'apartheid ont fait l'objet d'une enquête judiciaire.
Mais quarante ans après les faits, les familles de Fort Calata, Matthew Goniwe, Sicelo Mhlauli et Sparrow Mkhonto - mariés, pères de famille, trois enseignants et un syndicaliste - sont toujours démunies et cherchent des réponses.
"Nous n'allons pas laisser tomber cette affaire avant qu'il y ait une forme de justice", a déclaré à l'AFP le fils de Fort Calata, Lukhanyo, à Gqeberha, une ville sur l'océan Indien anciennement appelée Port Elizabeth. Son père a été battu, poignardé et son corps brûlé avec les autres.
"J'étais enceinte et j'ai perdu espoir... tout a été emporté d'une manière si brutale", a déclaré lors de l'enquête la mère de Lukhanyo, Nomonde Calata, aujourd'hui âgée d'une soixantaine d'années. Son troisième enfant est né deux semaines après l'enterrement de son mari.
Et "je ne pouvais pas montrer ma douleur à l'ennemi parce qu'il se serait moqué de moi".
Des premières investigations ont eu lieu en 1985 en afrikaans, une langue que Nomonde ne comprenait pas. Mais elles n'ont pas permis d'identifier les tueurs.
De nouvelles investigations, en 1993, ont confirmé que la police était responsable, mais sans nommer les coupables. Après la fin du régime d'apartheid en 1994, une Commission de vérité et de réconciliation (CVR) sur les atrocités commises pendant cette période s'est également penchée sur cette affaire.
Dirigée par le lauréat du prix Nobel Desmond Tutu, la Commission a conclu que six membres d'une unité de la police étaient impliqués et leur a refusé l'amnistie pour toute poursuite ultérieure. Mais aucune action n'a été entreprise et les six sont maintenant décédés.
- "La vérité doit sortir" -
Lukhanyo Calata n'a pas été surpris. "Ils ont tout fait pour se protéger. Nous ne nous attendions pas vraiment à mieux de leur part," a-t-il déclaré.
Mais cette fois, lui et les autres membres de la famille impliqués dans l'enquête récente attendent davantage. Pour la première fois, les proches sont autorisés à témoigner, des témoignages régulièrement diffusés en direct à la télévision nationale. Le tribunal s'est également rendu à l'endroit où les quatre personnes auraient été tuées.
Les familles des victimes veulent savoir pourquoi il n'y a eu aucune poursuite judiciaire 30 ans après la chute du régime de l'apartheid.
Les retards pourraient être dus à un "mélange toxique de paresse, d'indifférence, d'incapacité ou d'incompétence" et même à des interférences politiques, a déclaré l'un des avocats des familles.
Le président Cyril Ramaphosa a mis en place une enquête judiciaire en avril sur les accusations de retard délibéré dans les poursuites des crimes de l'époque de l'apartheid. Une procédure judiciaire distincte impliquant 25 familles vise à obtenir des compensations du gouvernement.
Dans la petite ville de Cradock, maintenant appelée Nxuba, les habitants qui connaissaient les militants assassinés ont vu les décennies passer sans que des réponses soient apportées, sans que la justice ne soit passée.
"J'ai grandi devant ces gens", se souvient Sibongile Mbina Mbina, maintenant dans la cinquantaine avancée. "Deux d'entre eux m'ont enseigné au lycée, donc je m'inquiète que cela n'ait pas été résolu".
"C'est douloureux parce que cela fait déjà longtemps", se plaint Mawonga Goniwe, 65 ans, dont l'oncle faisait partie des "Quatre de Cradock". "La vérité doit sortir... ils doivent affronter ce qu'ils ont fait," a-t-il dit à l'AFP.
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