La Colombie "suspendra" l'extradition vers les Etats-Unis de guérilleros négociant la paix (ministre à l'AFP)

La Colombie "suspendra" l'extradition vers les Etats-Unis de figures des groupes armés participant à des pourparlers de paix avec le gouvernement, quitte à détériorer des relations déjà tendues avec Washington, a affirmé jeudi dans un entretien à l'AFP son nouveau ministre de la Justice.

La priorité du gouvernement de gauche de Gustavo Petro est de faire venir à la table des négociations les chefs des groupes armés actifs en Colombie, dont des guérilleros impliqués dans le trafic de cocaïne, plutôt que de les envoyer en prison.

"Il s'agit d'atteindre le même objectif par des voies différentes (...), démanteler le crime organisé, éradiquer le trafic de drogue", a défendu jeudi Eduardo Montealegre, depuis son bureau à Bogota.

La Colombie rechigne à extrader au moins deux chefs de guérillas en vue, recherchés par Washington pour trafic de drogue.

Le pays sud-américain a reçu au fil des ans des milliards de dollars de la part des Etats-Unis pour l'aider dans sa lutte anti-drogue et sa politique sécuritaire.

Les relations habituellement étroites entre les deux pays ont été fragilisées par des différends entre le président Petro, lui-même ancien guérillero, et le président américain Donald Trump.

A Washington, le mécontentement grandit alors que la politique de "paix totale" de Gustavo Petro est accusée d'avoir laissé les coudées franches au narcotrafic.

- "Besoins de paix" -

M. Petro a été élu premier président de gauche du pays en 2022 sur sa promesse de chercher à désamorcer par le dialogue avec plusieurs groupes - guérilleros, paramilitaires, cartels - un conflit armé vieux de six décennies, qui n'a pas cessé malgré le désarmement des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) en 2017.

Mais selon l'ONU, la production, la saisie et la consommation de cocaïne en Colombie ont atteint un niveau record en 2023.

Et le pays connaît sa pire flambée de violence armée depuis une décennie. Rien qu'en juin, une série d'attaques coordonnées par une guérilla ont tué sept personnes dans le sud-ouest du pays, et un candidat à la présidentielle lutte toujours pour sa vie après un attentat à Bogota dont les commanditaires n'ont pas été identifiés.

M. Montealegre affirme que la politique consistant à donner la priorité aux "besoins de paix" de la Colombie plutôt qu'aux demandes d'extradition n'est pas un blanc-seing pour les narcotrafiquants.

Pour échapper à l'extradition, les membres des groupes illégaux doivent démontrer leur désarmement, mettre fin aux violences et remplacer les cultures illégales, a-t-il précisé. Il a promis des contrôles rigoureux "pour éviter que des personnes cherchant simplement à se moquer de la justice internationale ne participent à des processus de paix".

- "Injuste" -

M. Montealegre est l'une des personnalités juridiques les plus connues du pays. Il a été magistrat de la Cour constitutionnelle et procureur général de Colombie entre 2012 et 2016.

En tant que procureur général, il a pris part aux négociations avec les groupes paramilitaires et les ex-guérilleros des Farc, qui ont abouti à un accord de paix avec ces dernières en 2016.

Il est proche d'anciens présidents, tels que le Prix Nobel Juan Manuel Santos et Alvaro Uribe, chef de file de la droite colombienne.

Reste à voir comment les Etats-Unis réagiront au refus de la Colombie d'extrader des acteurs clés du trafic de drogue.

Certains à Washington réclament l'inscription de la Colombie sur une liste noire du trafic de drogue, ce qui pourrait entraîner une diminution de certaines aides et nuire à son image.

Une telle "décertification" serait "injuste", a plaidé le ministre. "Il n'existe aucun pays au monde qui fasse plus d'efforts que la Colombie dans la lutte contre le narcotrafic. Des efforts que nous avons menés conjointement avec les Etats-Unis", a-t-il affirmé.

Si les négociations avec les guérilleros venaient à échouer, Eduardo Montealegre assure que les personnes recherchées par les Etats-Unis seraient extradées "immédiatement".

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