Le procureur général près la Cour de cassation a demandé vendredi le maintien du mandat d'arrêt visant Bachar al-Assad pour des attaques chimiques: le président syrien déchu n'est plus considéré depuis 2012 par Paris comme le chef d'Etat légitime, rendant caduc le principe de l'immunité personnelle.
La décision sera rendue le 25 juillet en audience publique.
La plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français s'était réunie en assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, pour trancher une importante question de droit qui fera jurisprudence: existe-t-il des exceptions à l'immunité personnelle d'un chef d'Etat étranger s'il est soupçonné de crimes de guerre ou contre l'humanité ?
Oui, avait répondu la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris qui a validé en juin 2024 le mandat d'arrêt.
Un mandat contesté par le parquet national antiterroriste (Pnat) et le parquet général de la cour d'appel de Paris au nom de l'immunité absolue dont jouissent les chefs d'Etat en exercice devant les tribunaux de pays étrangers.
Deux juges d'instruction parisiens avaient émis, en novembre 2023, un mandat d'arrêt pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre contre Bachar al-Assad pour les attaques chimiques imputées au pouvoir syrien en 2013, ayant fait plus de mille morts.
La cour d'appel avait estimé que ces crimes "ne peuvent être considérés comme faisant partie des fonctions officielles d'un chef de l'Etat".
- Immunité, impunité -
Mais, "cette analyse (...) ne peut être admise", a relevé le procureur général près la Cour de cassation Rémy Heitz, eu égard à "la souveraineté" et à "l'égalité" des Etats qui "impose qu'aucun Etat n'impose son ascendant sur un autre" par la voie judiciaire.
Par ailleurs, a-t-il rappelé, "l'immunité personnelle a été consacrée" par une décision de la Cour internationale de justice en 2002, sans introduire d'exception.
Néanmoins, Rémy Heitz a proposé à la Cour "une troisième voie" consistant à écarter l'immunité personnelle de Bachar al-Assad parce qu'il n'était plus considéré par la France comme le "chef d'Etat légitime en exercice" lors de la délivrance du mandat d'arrêt.
"Ce sont les crimes de masse commis par le pouvoir syrien qui ont conduit la France à rendre cette décision inusuelle" de "déreconnaissance" de la légitimité de Bachar al-Assad dès 2012, a-t-il exposé.
Lors de l'audience, a été soulevé le nécessaire équilibre entre l'immunité d'un chef d'Etat, qui garantit la souveraineté des Etats, et la lutte contre l'impunité.
Pour Me Paul Mathonnet, avocat au conseil des parties civiles - des ONG et des victimes -, "il convient de se réserver la possibilité d'écarter au cas par cas cette immunité personnelle si elle aboutit à une situation d'impunité".
- "Courtoisie internationale" -
Les attaques chimiques, "ce que nous avions érigé en interdit absolu au vu des souffrances des soldats dans les tranchées en 1914-1918, le régime de Damas l'a pratiqué sur sa population civile", a rappelé Me Mathonnet.
La Cour pénale internationale (CPI) n'est pas compétente pour les crimes internationaux commis en Syrie, le pays n'ayant pas ratifié le traité de Rome qui l'a instituée. Et aucune résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies n'a ordonné sa saisine.
Le contexte géopolitique a changé depuis la délivrance du mandat d'arrêt: Bachar al-Assad a été renversé en décembre et s'est réfugié en Russie.
Si la Cour choisissait d'annuler le mandat d'arrêt, les juges d'instruction pourraient en émettre un nouveau. Mais l'ancien dictateur pourrait alors se prévaloir de l'immunité fonctionnelle, accordée aux agents d'Etats étrangers pour des actes commis dans l'exercice de leurs fonctions.
C'est justement au nom de cette immunité qu'un ancien gouverneur de la Banque centrale syrienne (2005-2016) et ex-ministre de l'Economie (2016-2017), Adib Mayaleh, conteste sa mise en examen en France pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, objet d'un second pourvoi.
Son avocat au conseil, Me Olivier Matuchansky, a plaidé l'abandon des poursuites, questionnant "la légitimité juridique pour un Etat étranger de juger des agissements qui relèvent d'une autre juridiction que la sienne" et insistant sur l'importance de "la courtoisie internationale".
L'avocate générale, Sonia Djemni-Wagner, a, elle, demandé le rejet de ce pourvoi: "La seule norme applicable en l'espèce est la coutume internationale" qui reconnaît désormais "la responsabilité pénale individuelle quand la puissance publique est instrumentalisée à des fins criminelles".