Ses partisans se désignaient comme "les effaceurs" et se sont livrés à des exactions dans le nord-est de la République démocratique du Congo, notamment des viols utilisés comme "instruments de guerre": un ex-chef rebelle, Roger Lumbala, comparaît à partir de mercredi devant les assises de Paris.
Ces crimes, qui seront examinés jusqu'au 19 décembre, ont été commis en 2002 et 2003 dans cette région frontalière de l'Ouganda riche en ressources naturelles. Poursuivi pour complicité de crimes contre l'humanité, Lumbala encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Le Congo oriental est en proie depuis près de trente ans à des guerres qui ont fait, directement et indirectement (maladies, destruction des infrastructures, etc.), des millions de morts et de déplacés. "Il s'agit là du conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale", écrit le Prix Nobel de la Paix 2018 Denis Mukwege dans "La Force des femmes".
Agé de 67 ans et détenu depuis décembre 2020 à la prison de la Santé à Paris, Lumbala dirigeait le RCD-N (Rassemblement des Congolais démocrates-National), un parmi la dizaine de groupes alors en guerre dans le nord-est de la RDC: milices rebelles soutenues par l'Ouganda ou le Rwanda, ou factions loyales à Joseph Kabila qui, à Kinshasa, avait succédé à la présidence à son père Laurent-Désiré, assassiné en 2001.
Avec son allié du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l'actuel ministre congolais Jean-Pierre Bemba, également soutenu par l'Ouganda, le RCD-N lance à l'été 2002 une offensive contre des groupes pro-gouvernementaux, notamment le RCD-ML.
C'est l'opération "Effacer le tableau", qui a pour objectif de détruire des groupes alliés à Kinshasa mais aussi de "mettre la main sur les ressources naturelles" de la région, selon un rapport de 2010 de l'ONU.
Lors de cette offensive, "pillages, viols et exécutions sommaires ont servi d'instruments de guerre", relèvent les magistrats instructeurs, qui dépeignent dans leur ordonnance de mise en accusation consultée par l'AFP "un schéma généralisé de violences dirigées contre les femmes commises en toute impunité".
Selon le rapport Mapping de l'ONU, "Effacer le tableau" donnera lieu à de nombreuses exactions, mutilations, tortures, travail forcé, exécutions sommaires de civils et de combattants adverses. Et des "viols et violences sexuelles de façon systématique et généralisée" de femmes nande et pygmées bambuti, deux communautés soupçonnées de pencher du côté du RCD-ML pro-Kinshasa.
Une trentaine de victimes sont parties civiles, sans que l'on sache combien viendront effectivement témoigner, après une enquête émaillée d'intimidations de plaignants et de témoins. A Kinshasa, les partisans de Lumbala ont appelé lundi à une marche de soutien jusqu'à l'ambassade de France.
- "Chef de guerre" -
Lumbala rejette toute responsabilité dans ces atrocités, assurant n'être qu'un "homme politique n'ayant disposé d'aucun militaire sous ses ordres", selon l'enquête.
De nombreux témoignages inverses, ainsi que des photographies le montrant en uniforme dans la région au moment où les crimes étaient commis, lui ont été opposés durant les investigations.
Pour les magistrats instructeurs, qui n'ont pu se rendre sur place, il était bel et bien "un chef de guerre à la tête de forces armées", dont l'"objectif premier" était de "mettre la main sur les matières précieuses de la région", notamment les diamants. Son mouvement, le RCD-N, était "une entité belligérante à part entière".
Sous ce statut, il aurait "laissé les combattants placés sous son autorité et son contrôle commettre des crimes contre l'humanité" sans chercher à les empêcher.
A l'inverse de Jean-Pierre Bemba, qui après dix ans de détention avait été acquitté en 2018 en appel par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes commis par le MLC en Centrafrique, Lumbala dispose d'une résidence à Paris, où il a été réfugié, ce qui a permis d'engager des poursuites au titre de la compétence universelle de la justice française pour les crimes contre l'humanité.
L'enquête a été déclenchée en 2016 après un signalement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui venait de refuser le renouvellement de son statut de réfugié, obtenu en 2013, sept ans après une candidature de Lumbala à la présidentielle dans son pays, recueillant moins de 1% des voix.
Ce dossier suivi par le pôle crime contre l'humanité du parquet antiterroriste de Paris, est le premier jugé à Paris concernant la République démocratique du Congo.

