L'ex-rebelle congolais Roger Lumbala a contesté mercredi la légitimité de la justice française pour le juger pour complicité de crimes contre l'humanité, à l'ouverture d'un procès historique devant la cour d'assises de Paris sur les atrocités commises dans l'est de la République démocratique du Congo.
"La France n'est pas compétente pour me juger, vous allez me juger tout seuls", a déclaré Roger Lumbala depuis le box des accusés.
"Je récuse mes avocats, je refuse de comparaître devant cette cour", a-t-il lancé en fin d'après-midi, ajoutant qu'il ne souhaitait plus assister à son procès, prévu jusqu'au 19 décembre.
"Cela ne vous rappelle pas les siècles passés ?", avait demandé dans sa déclaration liminaire l'accusé de 67 ans. "Regardez la composition de la cour, aucun n'est informé de la situation réelle du pays", avait-il poursuivi en regardant les jurés et les magistrats, tous blancs, tandis qu'il y a "un Africain dans le box".
Roger Lumbala, détenu à la prison parisienne de la Santé depuis son arrestation en décembre 2020, a confirmé qu'il contestait "l'ensemble des faits" pour lesquels il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
La justice française lui reproche des crimes commis en 2002 et 2003 en Ituri et dans le Haut-Uélé par son mouvement rebelle du RCD-N (Rassemblement des Congolais démocrates-National), soutenu par l'Ouganda voisin et qui comptait parmi la dizaine de groupes alors en guerre dans le nord-est de la RDC.
Ces exactions ont été perpétrées lors d'une offensive contre un groupe progouvernemental, baptisée "Effacer le tableau" et menée conjointement avec son allié du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l'actuel ministre congolais Jean-Pierre Bemba.
- Ciblage ethnique -
Outre la lutte pour prendre le pouvoir à Kinshasa, cette opération visait à "mettre la main sur les ressources naturelles" de la région, selon le rapport "Mapping" de l'ONU publié en 2010.
Elle a donné lieu à de nombreux crimes: exécutions sommaires, travail forcé, tortures, mutilations, pillages, ainsi que des viols de femmes. Le président de la cour Marc Sommerer a demandé aux médias de ne pas nommer les victimes présumées qui peuvent "avoir peur de représailles". "On ne sait jamais", a-t-il ajouté.
Les viols ont notamment été "utilisés comme armes de guerre" par des combattants qui se désignaient comme "les effaceurs", selon les magistrats instructeurs français. Les femmes nande et pygmées bambuti, deux communautés soupçonnées de pencher du côté d'un groupe armé pro-Kinshasa, le RCD-ML, ont payé un lourd tribut.
Ephémère ministre durant la période de transition entre 2003 et 2005, député, candidat à la présidentielle en 2006 avant de reprendre le chemin de l'exil vers la France, Roger Lumbala, a confirmé mercredi sa position exprimée durant l'enquête: il n'était qu'un "homme politique n'ayant disposé d'aucun militaire sous ses ordres".
Les enquêteurs français, qui n'ont pu se rendre sur place, le décrivent au contraire comme "un chef de guerre à la tête de forces armées" ayant laissé les combattants "sous son autorité et son contrôle commettre des crimes contre l'humanité", en leur fournissant aide ou assistance et en donnant des instructions.
- Compétence universelle -
La défense conteste l'application du principe de compétence universelle qui permet à la France de juger les auteurs de tels crimes, même commis dans un autre pays, sous certaines conditions.
Parmi celles-ci, l'auteur présumé doit avoir sa résidence habituelle en France: à l'inverse de Jean-Pierre Bemba, c'est le cas de Roger Lumbala. Il ne doit, par ailleurs, pas être poursuivi pour les mêmes faits devant une juridiction de son pays. Or la défense de Roger Lumbala compte faire état de mandats d'arrêt internationaux délivrés par les autorités de Kinshasa.
Ce "procès historique" est le premier au monde à se tenir "en vertu de la compétence universelle pour des atrocités de masse commises en République démocratique du Congo (RDC) par un ressortissant congolais", se sont félicitées dans un communiqué plusieurs ONG parties civiles.
Pour Samuel Ade Ndasi, représentant de l'une d'elles, Minority Rights Group, ce procès "envoie un signal fort dans le conflit violent qui sévit actuellement en RDC, à savoir que les abus feront l'objet d'enquêtes et que justice sera rendue".
Aujourd'hui, des combats entre forces armées congolaises et groupes armés, notamment le M23 soutenu par le Rwanda voisin, se poursuivent dans l'est de la RDC malgré des pourparlers et la récente signature d'un accord de paix entre Kinshasa et Kigali.
Depuis près de 30 ans, ces guerres ont fait directement ou indirectement (faim, maladies, infrastructures détruites, etc.), des millions de morts et de déplacés.

