Un collectif d'artistes revisite les "Musiques interdites" par les nazis

La création "Musiques interdites" du collectif Acte[Six] rend hommage dans ce cabaret musical, présenté jeudi et vendredi au Théâtre de Caen avant une tournée en France, aux artistes persécutés et à leurs oeuvres censurées par le III? Reich.

Dirigé par le violoniste Samuel Hengebaert et mis en scène par David Lescot, ce spectacle puise dans le répertoire qualifié de "dégénéré" par les nazis : jazz, cabaret, musique moderniste mais aussi baroque.

Ce spectacle est "un hymne à la liberté formelle face à la tyrannie" pour Samuel Hengebaert, et célèbre "l'extraordinaire vitalité et l'invention inouïe dont a fait preuve cette génération allemande, autrichienne et tchèque".

Sur scène, les mezzo-sopranos Lucile Richardot et Éléonore Pancrazi alternent chants et textes dans l'esprit des cabarets politiques de l'entre-deux-guerres, accompagnées par un ensemble musical.

Parmi les compositeurs persécutés dont les oeuvres seront jouées, on trouve Gideon Klein, Hanns Eisler, Erwin Schulhoff, Ilse Weber, Paul Dessau, ou encore Kurt Weill, la plupart contraints à l'exil ou assassinés dans les camps.

Maîtresse de conférences en musicologie à l'université de Grenoble Alpes, Elise Petit, dont la thèse a inspiré le spectacle, souligne que la musique des années 1920 en Allemagne était "une musique avant-gardiste qui a été réduite au silence".

La quinzaine de compositeurs revisités par "Musiques interdites" figuraient, parmi d'autres, dans l'exposition organisée en 1938 à Düsseldorf, "Entartete Musik" ("musique dégénérée" en allemand NDLR). Celle-ci attaquait ces artistes "trop modernes, juifs, ou engagés politiquement trop à gauche, notamment les communistes", selon la chercheuse.

Cette mise au ban des modernistes comprend aussi les dadaïstes, un groupe "volontairement provocateur, anti-guerre, anti-militariste, anti-nazi", et plus largement tous ceux accusés de fourvoyer "la grande musique germanique".

Erwin Schulhoff "cochait toutes les cases" pour être mis à l'index par les nazis, selon Mme Petit: juif, bisexuel, communiste, dadaïste, romantique et jazzman, et "un compositeur extrêmement en avance".

- "Faire disparaître" -

Sous le contrôle du ministre de la propagande Joseph Goebbels, la "chambre de musique du Reich" privait de commandes et mettait au chômage les artistes qui allaient à l'encontre de l'idéologie nazie, rappelle Mme Petit.

Ceux qui le pouvaient se sont exilés d'abord en Autriche, puis en France, et aux Etats-Unis après 1940.

Les artistes juifs, eux, ont été déportés "massivement" vers les centres de mise à mort.

Parmi ceux-là, l'autrice pour enfants Ilse Weber, née juive en Autriche-Hongrie, transportée en 1942 dans le camp ghetto de Theresienstadt.

Elle y veillait sur les enfants d'un foyer pour lesquels elle a écrit plusieurs berceuses "vraiment rassurantes", juge Elise Petit, dont le morceau final du spectacle "Musiques Interdites", "Wiegala" ("Petite berceuse" en allemand NDLR).

La vibrante interprétation de "Wiegala" par Eléonore Pancrazi fait remonter le destin tragique d'Ilse Weber, assassinée le 6 octobre 1944 avec son fils Tomas dès son arrivée au camp d'Auschwitz-Birkenau.

Le régime nazi a fait disparaître ces artistes de la vie politique, musicale et les a "tellement réduits au silence qu'on a mis des années à les redécouvrir" même après la guerre, analyse Elise Petit.

"Le contexte de guerre froide a aussi retardé" côté occidental la redécouverte de compositeurs communistes, "tels que Kurt Weill ou Hanns Eisler, qui travaillaient beaucoup avec Bertolt Brecht", conclut-elle.

"Musiques Interdites" sera en tournée jusqu'en juin à Tourcoing, Saint-Omer, Arras et Rouen.

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