Mettre fin à la prescription qui empêche les victimes de viol sur mineurs d'accéder à la justice: une proposition de loi est déposée mercredi au Sénat pour franchir ce pas et élargir la définition de l'inceste aux cousins germains.
Proposé à la veille de la journée internationale des droits de l'enfant, ce texte reprend trois des 82 préconisations formulées en novembre 2023 par la Commission sur les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), créée par le président Emmanuel Macron pour lutter contre la pédocriminalité.
Quelque 160.000 enfants sont victimes de viols ou d'agressions sexuelles chaque année, selon la Ciivise.
Portée par la sénatrice centriste Annick Billon, la proposition entend "reconnaître l'inceste comme un crime spécifique". "Un viol incestueux ne peut plus être appréhendé de la même manière qu'un autre crime de viol", plaide-t-elle.
"L'inceste est spécifique car il se déroule dans un cadre familial censé être protecteur. Il est plus facile de dénoncer un inconnu que son père", explique-t-elle à l'AFP. "En raison du lien de confiance et d'autorité, l'enfant, isolé, manipulé, trahi, souvent réduit au silence, ne parle pas, pris dans un conflit de loyauté".
Le texte prévoit aussi d'élargir aux "cousins germains" la définition du viol et agression sexuelle incestueux. Selon l'association Face à l'Inceste, un auteur d'agression sexuelle et viol sur mineur sur cinq est un cousin de la victime.
La proposition la plus controversée est de rendre imprescriptibles les viols sur mineurs, qui divise juristes et associations de victimes.
Depuis 2018, une victime de viol survenu dans l'enfance peut déposer plainte jusqu'à 48 ans. Mais abolir totalement la prescription divise, alors qu'en droit pénal français, seul le crime contre l'humanité est imprescriptible.
Les violences sexuelles subies dans l'enfance entraînent des conséquences psychologiques profondes et durables, qui empêchent souvent les victimes de porter plainte, souligne la sénatrice.
- "La loi ferme la porte" -
"Le poids du tabou, les pressions de l'entourage, le conflit de loyauté face au parent qui l'a élevée et la peur de détruire la famille poussent la victime à se taire", abonde Solène Podevin Favre, de Face à l'Inceste.
"Il faut être suffisamment armé dans la vie pour aller déposer plainte et se retrouver seul car c'est tout le système familial qui a couvert le crime", poursuit la présidente de l'association qui a coopéré avec la sénatrice pour cette proposition de loi.
En outre, 50% des victimes d'inceste souffrent d'amnésie dissociative, selon l'association: pour survivre, le cerveau enterre des souvenirs insupportables, qui ressurgissent parfois des décennies plus tard.
"Le temps qu'un enfant mette des mots sur la violence qu'il a subie et qu'il ait le courage de déposer plainte, la loi lui ferme la porte", observe Solène Podevin. "C'est vécu comme une injustice alors que les conséquences de l'inceste sont durables: plus d'une victime sur deux tente de mettre fin à ses jours au cours de sa vie".
"Il est important de dire aux agresseurs potentiels qu'il ne seront jamais tranquilles, que ce crime ne sera jamais impuni", souligne l'avocat Pascal Cussigh, président de CDP-Enfance, consulté pour l'élaboration du texte.
La Ciivise en novembre 2023 l'avait "prudemment" préconisée tout en soulignant que ses membres n'étaient pas "unanimes". Ses membres actuels restent profondément divisés sur le sujet.
Les opposants à l'imprescriptibilité jugent eux que le temps rend les preuves plus dures à obtenir, les témoignages moins fiables, risquant d'aboutir à des classements sans suite ou acquittement.
Les enquêteurs déjà débordés devront faire face à un afflux d'affaires.
Or, note Mme Billon, moins de 1% des plaintes pour viol ou agression sexuelle incestueux aboutissent à une condamnation.
La sénatrice espère voir ce texte inscrit à l'ordre du jour du Sénat ou ses dispositions intégrées dans la loi-cadre contre les violences sexuelles, promise par la ministre chargé de l'égalité Femmes Hommes Aurore Bergé.

