Au Rwanda, un camp de réhabilitation pour "génocidaires" venus de RDC

Alors que ses camarades mouraient de faim et de soif autour de lui, Mbale Hafashimana Amos a décidé de fuir la brousse congolaise pour le Rwanda, un pays dont on lui avait toujours dit qu'il le tuerait à son arrivée.

Hutu de souche, l'homme de 37 ans faisait partie d'une milice active dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) appelée les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), initialement créée par ceux qui avaient fui de l'autre côté de la frontière après avoir commis le génocide rwandais en 1994.

Mais les FDLR ont souffert cette année alors qu'un groupe armé soutenu par le Rwanda, le M23, a lancé une offensive dans cette région, dont il contrôle désormais de grandes parties.

En avril, "le M23 nous a poussés dans un endroit où nous ne pouvions rien trouver à manger", raconte Mbale Hafashimana Amos à l'AFP. "J'ai vu plus de 150 soldats mourir de faim et de déshydratation. C'était affreux."

Le Rwanda nie officiellement soutenir le M23, malgré des accusations récurrentes de la communauté internationale, notamment de l'ONU.

En septembre, une mission d'enquête onusienne rapportait de possibles "crimes de guerre" et "crimes contre l'humanité" commis par "toutes les parties", M23 comme FLDR, alors que des milliers de civils ont été tués depuis le début de l'année dans l'Est de la RDC.

- Menace existentielle -

Mais le Rwanda est également salué pour son accueil des FDLR ayant fait défection. Tous sont hutus, et beaucoup ont participé - ou sont nés en RDC de pères ayant participé - au génocide de 1994, au cours duquel jusqu'à 800.000 personnes, principalement des Tutsis, mais aussi des Hutus modérés, ont été massacrées.

"L'idéologie génocidaire est toujours omniprésente au sein des FDLR" et est enseignée aux nouvelles recrues pour les dresser "contre le gouvernement rwandais", narre Mbale Hafashimana Amos.

Lui-même pensait être abattu lorsqu'il s'est rendu cette année. Au lieu de cela, il s'est retrouvé dans le camp de réhabilitation de Mutobo, au Rwanda.

Le pays d'Afrique des Grands lacs n'est pourtant pas tendre avec les FDLR, que son président Paul Kagame qualifie de "génocidaires", dont l'existence-même constitue une menace existentielle pour le Rwanda. Un péril minoré par de nombreux experts, pour qui leurs quelques milliers de combattants ont plutôt servi d'excuse pour envahir l'Est de la RDC.

M. Kagame, crédité d'un miracle économique, bien visible dans la capitale rwandaise, est également accusé de diriger le pays d'une main de fer et de museler toute opposition.

Mais peu nient les efforts sincères dispensés sous sa férule ces dernières décennies au Rwanda pour guérir les divisions ethniques entre Hutus et Tutsis qui ont conduit au génocide.

Le gouvernement rwandais a donné à l'AFP accès au camp de Mutobo, situé dans des collines à la végétation luxuriante, par lequel selon Kigali des dizaines de milliers de combattants hutus et leurs familles sont passés depuis sa création en 1997.

Les nouveaux arrivants bénéficient d'abord de trois semaines de "calme", explique Cyprien Mudeyi, un retraité de l'armée qui dirige Mutobo. "Ils sont très craintifs à cause de l'idéologie qui leur a été inculquée", remarque-t-il, mais "progressivement, la peur se dissipe."

- Traumatismes -

L'AFP a observé environ 200 "bénéficiaires" qui chantaient des chansons aux paroles telles que: "Il y a un secret derrière la sécurité dans mon pays le Rwanda, qui a déconcerté le monde" à des étudiants venus de Zambie.

Les ex-FLDR passent environ trois mois dans le camp, recevant des cours d'histoire, un soutien psychologique et une formation dans des métiers comme la plomberie, la couture ou la coiffure.

Tendre la main à l'ennemi était terrifiant, observe Nzayisenga Evariste, 33 ans, un ancien caporal FDLR arrivé en septembre, qui craignait lui aussi d'être exécuté.

Les FDLR "nous ont dit que le Rwanda est un pays de Tutsis, où les Hutus n'ont aucune voix, et que si vous y allez, ils vous tuent", se souvient-il, balayant désormais ces "mensonges".

L'installation au Rwanda n'est pas toujours facile. Certains ex-FLDR, après leur passage à Mutobo, essaient de retourner sur leurs terres ancestrales, qu'ils trouvent occupées, ce qui entraîne parfois des confrontations violentes. D'autres portent des traumatismes profonds qui les handicapent dans leurs nouvelles vies.

"De nombreux anciens combattants des FDLR ont eu des difficultés", note Nzeyimana Wenceslas, 60 ans, contacté par l'AFP.

Lui qui a fui la jungle congolaise en 2011 est aussi passé par Mutobo. La formation et le soutien qu'il y a reçus lui ont permis, dit-il, de créer une entreprise de sécurité prospère employant selon lui à la fois d'anciens combattants hutus et tutsis.

Mbale Hafashimana Amos espère également bâtir une nouvelle vie sur les ruines de son passé violent. "Je vais... essayer de rattraper le temps perdu", souffle-t-il.

Justice Info est sur Bluesky
Comme nous, vous étiez fan de Twitter mais vous êtes déçus par X ? Alors rejoignez-nous sur Bluesky et remettons les compteurs à zéro, de façon plus saine.
Poursuivez la lecture...