France: un "making-of" et des audios inédits éclairent la genèse de "Shoah" de Lanzmann

Quarante ans après la sortie de "Shoah" du Français Claude Lanzmann, un film en forme de "making-of" et une exposition d'enregistrements audio inédits éclairent à Paris la genèse de ce "film-monument" sur l'extermination systématique des Juifs par les nazis.

Sorti en 1985, "Shoah" est entré dans l'histoire du cinéma par sa durée (9H30), sa forme (pas d'images d'archives) et son ampleur, qui lui valurent en 2023 d'être inscrit au registre de la Mémoire du monde de l'Unesco.

"Au début, il ne savait rien, six millions (de morts), c'est tout", explique sa veuve Dominique Lanzmann. "Il a commencé à prospecter dans toutes les directions, le Vatican, l'inertie des alliés, des sujets qu'il a finalement laissés de côté".

Ces immenses recherches préparatoires génèrent des centaines d'heures d'enregistrements sonores et vidéo, dont le public peut avoir un aperçu en cette année qui marque aussi les 100 ans de la naissance du journaliste, cinéaste, écrivain et grand passeur de mémoire décédé en 2018.

A partir de jeudi et jusqu'au 29 mars, le Mémorial de la Shoah à Paris expose une sélection de courts enregistrements -de 40 secondes à une dizaine de minutes- de témoins qui n'apparaissent pas dans la version finale de "Shoah": une survivante de Sobibor, un employé d'IG Farben, un sauveteur... ainsi que toute une partie sur la Lituanie, absente du documentaire.

"C'est devenu mon obsession", explique Lanzmann à une survivante qui l'interroge sur ses motivations. Ce travail titanesque ne va pas sans découragement ni doutes: "Je ne peux pas faire de film, c'est de l'horreur pure", dit-il dans un autre enregistrement.

L'un des extraits les plus émouvants documente sa visite au camp d'Auschwitz-Birkenau en 1978, où on entend son accablement devant les objets exposés, confisqués aux déportés à leur arrivée. "Les enfants, l'âge des enfants, c'est affreux", souffle-t-il.

- "Hanté" -

L'exposition s'inscrit en miroir d'un film, "Je n'avais que le néant", dévoilant lui aussi la genèse de "Shoah" et réalisé à partir des 220 heures de rushes vidéo conservés au Mémorial de l'Holocauste de Washington.

Ce "making-of" de Guillaume Ribot, visible jusqu'au 24 mai sur arte.tv, respecte les choix cinématographiques de "Shoah": pas de musique, pas de commentaires, pas d'archives. La seule voix off est la lecture du "Lièvre de Patagonie", livre publié par Claude Lanzmann en 2009.

"J'ai toujours été hanté par les derniers moments des condamnés. Que signifie attendre, nu par moins 20 degrés, son tour d'entrer dans une chambre à gaz de Sobibor ou de Treblinka?" s'interroge-t-il dans cet ouvrage.

Le documentaire permet de comprendre comment Claude Lanzmann débloque la parole enfouie des survivants en leur faisant reproduire des gestes de l'époque; par exemple Abraham Bomba, coiffeur obligé de couper les cheveux des femmes avant leur mise à mort à Treblinka, et que le cinéaste interviewe dans un salon de coiffure.

On comprend aussi comment Lanzmann a rusé, et souvent réussi, pour arracher des témoignages aux bourreaux, se présentant comme "Claude-Marie Sorel, docteur en histoire" d'un institut créé par ses soins.

Certains témoignages ont été recueillis grâce à une caméra révolutionnaire à l'époque, la "paluche", qui envoyait les images dans une camionnette garée à proximité.

Cet intervieweur hors-pair, au point de se voir parfois reprocher son opiniâtreté, laisse à la fin du documentaire transparaître ses émotions lorsqu'il pose la tête sur la poitrine d'un témoin, l'un des chefs de l'insurrection du ghetto de Varsovie, qu'il a retrouvé en Israël.

Arte.tv rediffuse également l'intégrale de "Shoah" à l'occasion de ce double anniversaire Lanzmann.

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