Pour la première fois, des juges français vont se pencher sur des exactions attribuées au régime de Bachar al-Assad: trois d'entre eux ont été chargés d'enquêter sur la disparition de deux Franco-Syriens, arrêtés en Syrie en novembre 2013 sans jamais plus donner signe de vie.
Une information judiciaire, confiée à trois magistrats instructeurs du pôle génocide et crimes contre l'humanité du tribunal de grande instance de Paris, a été ouverte jeudi pour "actes de torture", "disparitions forcées" et "crimes contre l'humanité", a appris l'AFP de source judiciaire.
Une enquête préliminaire, sous la houlette du parquet de Paris, avait été ouverte en octobre 2015 à la suite du témoignage d'un proche des disparus.
La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH), la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et Obeida Dabbagh, frère et oncle des victimes, avaient ensuite déposé plainte contre X lundi.
Mazzen Dabbagh, 57 ans, et son fils Patrick, 22 ans, ont été arrêtés en novembre 2013 par des officiers déclarant appartenir aux puissants et redoutés services de renseignement de l'armée de l'air syrienne, selon les plaignants. Transférés à la prison de al-Mezzeh, dénoncée comme un centre de torture du régime, ils n'ont jamais redonné signe de vie.
La justice française s'est déclarée compétente car les deux disparus ont la double nationalité franco-syrienne.
De nombreuses enquêtes visant le régime syrien sont menées en Europe, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas au Royaume-Uni et en France, mais aucune n'avait jusque-là abouti à la désignation d'un juge d'instruction.
- 'Une première européenne' -
"C'est une première européenne. Nous passons à un autre niveau: des charges pourront enfin être retenues et des responsabilités pénales établies", s'est félicitée Clémence Bectarte, avocate et coordinatrice du groupe d'action judiciaire de la FIDH.
Damas n'ayant pas ratifié le traité fondant la Cour pénale internationale (CPI), cette dernière, faute de saisine par le Conseil de sécurité de l'ONU, "ne peut enquêter sur les crimes commis par le régime, il est donc primordial que les juridictions nationales prennent le relais", a-t-elle ajouté.
En France, l'enquête la plus emblématique concerne le dossier "César", du nom de cet ex-photographe de la police militaire syrienne qui s'est enfui de Syrie en 2013, emportant 55.000 photographies de corps torturés. Le parquet de Paris a ouvert en septembre 2015 une enquête préliminaire sur cette affaire, en vertu de "la compétence universelle" lui permettant de poursuivre les auteurs de "crimes contre l'humanité" commis à l'étranger.
Mais pour qu'elle puisse se poursuivre, il faut qu'une des victimes des exactions soit française ou qu'un des responsables impliqués habite en France, des critères difficiles à remplir.
Patrick Dabbah, étudiant à la faculté de lettres et sciences humaines de Damas, et son père Mazzen, conseiller principal d'éducation à l'École française de Damas, "n'avaient jamais été impliqués dans des mouvements de contestation contre le régime de Bachar al-Assad", assure la FIDH qui ne s'explique pas les raisons de leur arrestation.
"Le régime de Bachar El-Assad n'a pas attendu 2011 pour être épouvantablement répressif (...), mais depuis cette date, c'est bien lui qui se trouve être à l'origine du maximum d'abominations commises dans le pays", avait relevé lundi, lors d'une conférence de presse, Me Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH, pour qui "la lutte contre l'impunité est une question centrale".
"Le conflit syrien est particulièrement bien documenté et les personnes qui ont enlevé Mazzen et Patrick Dabbah sont connues. Nous espérons qu'un jour elles seront jugées en France", a dit Clémence Bectarte.
Le régime syrien a été accusé à de nombreuses reprises d'atteintes aux droits de l'Homme depuis le début du conflit en 2011.
Electrocutions, brûlures à l'eau bouillante, viols: le régime a eu recours sur une "grande échelle" à la torture dans ses prisons où plus de 17.700 détenus ont péri en cinq ans de guerre, avait relevé en août Amnesty International.