La première commission indépendante de recherche historique consacrée à l'Outre-mer a rendu ses conclusions sur trois événements troubles et de l'histoire des Antilles et de la Guyane peu connus de l'Hexagone, "pour essayer de s'approcher le plus possible de la vérité".
Cette commission, créée en 2014, présidée par Benjamin Stora et composée de sept historiens métropolitains et ultramarins, était un engagement de campagne de François Hollande, pour enquêter sur des manifestations sanglantes en Martinique (décembre 1959) et en Guadeloupe (mai 1967), ainsi que sur un crash d'avion en Guadeloupe en 1962 sur lesquels toute la lumière n'a pas été faite.
Des événements qui constituent des "marqueurs identitaires" pour les Outre-mer, mais "peu connus en métropole. L'objectif c'est de porter cette histoire à la connaissance du plus grand nombre", a expliqué lundi soir Benjamin Stora, en remettant son rapport à la ministre des Outre-mer, Ericka Bareigts.
"Ce manque de savoir a laissé place à tous les fantasmes qui entravent la possibilité pour la mémoire collective d'aborder sereinement cette partie de l'Histoire", a estimé la ministre.
Avec ce rapport, "la France a rendez-vous avec son histoire", a déclaré Mme Bareigts, soulignant le "point commun" de ces trois événements historiques : "ils ont profondément marqué la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique".
En croisant les sources et en étudiant les archives, "on essaie de s'approcher le plus possible de la vérité", a expliqué Benjamin Stora. Il permet aussi de souligner le contexte "de décolonisation et de construction des mouvements autonomistes et indépendantistes", rappelle-t-il.
Le 20 décembre 1959, un banal accident de la route entre un métropolitain blanc et un martiniquais noir dégénère en trois jours d'émeutes à Fort-de-France, opposant jeunes des quartiers populaires et CRS métropolitains. Elles se soldent par la mort de trois jeunes. La commission a notamment tenté de savoir s'ils étaient des manifestants venus en découdre ou des victimes collatérales, a expliqué l'historien martiniquais Louis-Georges Placide.
Mais en vain: "On ne connaît pas encore avec certitude le statut des trois victimes" et "les circonstances de leur décès restent floues", dit la commission, qui a interrogé des témoins et des proches des victimes. Une certitude: ce "n'était pas une émeute politique" orchestrée par le parti communiste mais "une émeute populaire urbaine liée au désarroi d'une jeunesse en manque de repères".
Le 22 juin 1962, un avion s'écrase en Guadeloupe avec 113 victimes, dont des militants autonomistes, le député guyanais Justin Catayée et le Guadeloupéen Albert Beville. Des rumeurs d'attentat et de complot d'Etat se propagent.
-Combien de morts? -
"En période de tensions politiques très fortes (en pleine décolonisation), l'Etat a classé "secret confidentiel" le rapport d'enquête, qui mettait en cause la responsabilité de la compagnie nationale Air France et de l'Etat dans l'accident (défaillance de l'équipement au sol)", a expliqué l'historien guyanais Serge Mam-Mam-Fouck, d'après les archives déclassifiés. "Mais cette non publication du rapport a alimenté la thèse de l'attentat", dont aucune preuve n'a été rapportée, ajoute-t-il.
Le 26 mai 1967, l'échec de négociations entre des ouvriers du bâtiment et le patronat entraîne des heurts à Pointe-à-Pitre. Les forces de l'ordre ouvrent le feu et tuent des manifestants. Mais le bilan officiel de "8 morts identifiés" est régulièrement contesté, et on évoque des dizaines voire "200" morts.
Malgré des recherches dans les archives des mairies et des hôpitaux, la commission n'a pas pu prouver que le nombre de morts ait pu être supérieur à huit, a expliqué Benjamin Stora, soulignant que "le nombre de blessés par balles a été considérable".
Elle a cependant établi un bilan de la chaîne des responsabilités des différentes forces de l'ordre sur place et déterminé que les autorités locales avaient instruit à charge la responsabilité du Gong (Groupement des organisations nationalistes de Guadeloupe, ndlr) dans ces émeutes, a souligné l'historienne Michelle Zancarini-Fournel.
Au final, selon Benjamin Stora, un tel rapport permet aussi de voir "comment se forgent après coup des enjeux mémoriels, des fabrications de mémoires".
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