Génocide rwandais: 25 ans de prison requis en appel contre Simbikangwa

"Après avoir fait ses humanités", le lettré "Pascal Simbikangwa a participé à un génocide", lance l'accusation. "Non", s'agace l'ex-officier, premier Rwandais condamné en France en lien avec le génocide des Tutsi en 1994, contre lequel 25 années de réclusion criminelle ont été requis jeudi en appel.

Pascal Simbikangwa est jugé en appel depuis le 25 octobre à Bobigny par la cour d'assises de Seine-Saint-Denis pour "complicité de génocide" et "complicité de crimes contre l'humanité".

Au terme de cinq heures de réquisitoire à deux voix, le ministère public a demandé à la cour de le déclarer coupable de "crime de génocide" et "complicité de crimes contre l'humanité", et requis 25 ans de réclusion criminelle, la même peine que celle infligée en première instance en 2014. Il a précisé ne pas pouvoir demander une peine plus lourde en raison d'une récente jurisprudence.

Avant de lancer les hostilités, les deux avocats généraux ne manquent pas de souligner le "maniement du verbe" de cet ex-officier de la garde présidentielle reconverti dans la police politique après un accident qui l'a cloué dans un fauteuil roulant en 1986.

Celui qui se décrit comme un amoureux de "la France du XVIIIe siècle", a "une parfaite maîtrise de la langue française", apprend le dictionnaire par coeur dès l'âge de dix ans, écrit des livres, relève ainsi Ludovic Hervelin-Serre.

Et d'asséner: "après avoir fait ses humanités, Pascal Simbikangwa a participé à un génocide".

"Non", peut-on entendre Simbikangwa rétorquer depuis son box.

Pendant le réquisitoire, l'ancien capitaine compulse son dossier, prend des notes, s'agace quand certains témoignages sont évoqués. "Faut pas réagir", intiment ses avocats.

- 'Bonne conscience au rabais' -

Simbikangwa est accusé d'avoir organisé des barrages routiers au passage desquels étaient filtrés et assassinés des Tutsi à Kigali, et d'avoir livré armes, instructions et encouragements aux miliciens qui les tenaient.

Comme les parties civiles la veille, l'accusation a raillé jeudi le fait qu'il se soit souvenu, 22 ans plus tard, avoir "en fait vu une victime" pendant les 100 jours d'avril à juillet 1994 au cours desquels au moins 800.000 personnes ont été massacrées. Il avait affirmé en première instance n'avoir pas vu un seul cadavre.

Ce "professionnel du renseignement", soutient M. Hervelin-Serre, "ne pouvait pas ignorer la réalité de ce qui se passait à Kigali". Les faits qui lui sont reprochés "ne se situent pas à la marge du génocide, mais au coeur du génocide".

Dans la capitale, c'est aux barrières que "l'on trie", "l'on tue". Et les fusils que des témoins disent avoir vu distribuer par Simbikangwa ne sont "rien de moins que l'arme du crime".

Dans cette affaire sans victimes directes (seules cinq organisations non gouvernementales sont parties civiles), où tout repose sur les témoignages, l'avocat général anticipe les plaidoiries de la défense: "Nous n'avons pas dans ce dossier de preuve matérielle, scientifique", "nous avons uniquement des témoignages mais comme (...) dans n'importe quel dossier comparable remontant aux années 1990".

"Les témoignages je ne les trouve pas fragiles du tout, ce qui est fragile c'est la mémoire", appuie M. Hervelin-Serre. "Peut-on accepter que le témoignage soit mis en cause sur la base de ses inévitables imperfections?"

L'autre avocat général, Rémi Crosson du Cormier, a par ailleurs soutenu que "l'évocation d'une actualité récente" devait "impérativement rester à l'extérieur" du procès.

Mardi, le Rwanda a ouvert une enquête "pour mieux comprendre" le rôle de vingt responsables français dans le génocide. Kigali accuse régulièrement la France d'avoir soutenu le régime génocidaire, puis protégé ses responsables dans leur fuite.

A Bobigny, la défense estime que la France essaie de s'acheter une "bonne conscience au rabais" avec le procès Simbikangwa.

"Nous n'avons aucune mission politique ou diplomatique (...). Nous n'avons reçu aucune instruction ni générale ni particulière", a encore affirmé M. Crosson du Cormier.

Le verdict est attendu samedi.

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