Soupçonné de vouloir à tout prix s'accrocher au pouvoir en Gambie, il avait surpris en reconnaissant sa défaite à la présidentielle, pour se raviser une semaine plus tard. Tout au long de son règne de 22 ans, Yahya Jammeh n'aura cessé de déconcerter.
"Tout comme j'ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité", a affirmé M. Jammeh au cours d'une déclaration télévisée vendredi soir.
Dans une intervention un peu décousue, il a dénoncé des "erreurs inacceptables" de la part des autorités électorales, pointant des imprécisions dans les résultats révisés et fait état d'"enquêtes" sur l'abstention révélant, selon lui, que de nombreux électeurs n'ont pas pu voter ou en ont été dissuadés par des informations erronées.
C'est pourtant le même homme qui félicitait chaleureusement son adversaire, Adama Barrow, pour sa victoire au scrutin du 1er décembre, dans un appel téléphonique télévisé, excluant toute contestation, même s'il n'avait été devancé "que d'une voix".
Il évoquait alors en plaisantant une possible reconversion dans l'agriculture à Kanilai, son village natal (ouest), un retour aux sources pour ce fils d'une famille paysanne, d'ethnie diola - présente en Gambie et au Sénégal.
Pour spectaculaire qu'ait pu être ce coup de théâtre, tant Yahya Jammeh a gouverné sans partage, ce n'était que la dernière d'une longue série de décisions déroutantes.
Porté à la tête de l'Etat par un putsch sans effusion de sang en 1994 dans cette ex-colonie britannique enclavée dans le Sénégal à l'exception de sa façade atlantique, il a été élu une première fois en 1996, pour cinq ans, puis réélu trois fois.
Yahya Jammeh a longtemps pu compter sur la peur pour garder la majorité des Gambiens dans le rang: peur des pouvoirs mystiques dont il se dit doté, peur de la répression - parfois sanglante - de toute contestation, peur de sa mainmise sur les forces armées dont il est issu...
- Président thaumaturge -
Lieutenant de 29 ans lors de sa prise du pouvoir, cet amateur de lutte au physique imposant, marié et père de deux enfants, a troqué l'uniforme contre de luxueux boubous.
Outre ce changement vestimentaire, il a ajouté à son nom de naissance une série de titres honorifiques. Il se fait appeler "Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur", ainsi que, depuis quelques années, "Babili Mansa", ayant le double sens de "bâtisseur de ponts" et "roi défiant les fleuves" en mandingue, une des langues parlées en Afrique de l'Ouest.
Après des études secondaires à Banjul, il s'engage en 1984 dans la gendarmerie. Jusqu'en 1992, il commande la police militaire à deux reprises.
En 1996, il prend sa retraite de l'armée avec le grade de colonel, crée son parti et se présente à sa première présidentielle, qu'il remporte.
Vantant ses prétendus pouvoirs mystiques, il dit pouvoir traiter l'asthme, l'épilepsie, et "guérir" la stérilité et le sida avec des plantes et des incantations mystiques donnant lieu à des séances collectives filmées et diffusées par les médias publics.
Il cultive aussi l'image d'un musulman pieux, apparaissant régulièrement Coran et chapelet en main.
En décembre 2015, à la surprise générale, il proclame la Gambie république islamique, sans conséquence immédiate sur la vie quotidienne des quelque 2 millions d'habitants, dont environ 90% sont musulmans et près de 8% chrétiens.
Yahya Jammeh s'illustre aussi régulièrement par des déclarations fracassantes, notamment contre l'homosexualité, les puissances occidentales ou la Cour pénale internationale (CPI), dont il a retiré la Gambie en octobre, bien que la procureure soit son ancienne ministre de la Justice.
Il lui arrive fréquemment de menacer de mort tous ceux qu'il considère comme des fauteurs de troubles, pour adopter en d'autres circonstances un ton parfaitement posé.
Son régime est accusé par des organisations non gouvernementales et certaines chancelleries de violations systématiques des droits de l'Homme, critiques qu'il balaye systématiquement.
"Peu importe ce que les gens disent de moi, je n'en suis pas touché", avait-il dit en déposant sa candidature en novembre. "C'est entre moi et Dieu".