03.06.08 - TPIR/TRANSFERTS - PREMIER REJET D'UNE DEMANDE DE TRANSFERT VERS LE RWANDA (ECLAIRAGE)

La Haye, 3 juin 2008 (FH) - La Chambre de première instance III du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a rejeté le 28 mai la première des quatre demandes de transfert d’accusés vers le Rwanda. La procédure de transfert d’accusés du TPIR vers des juridictions nationales est prévue par l’article 11 bis du Règlement de procédure et de preuve (RPP) du Tribunal qui en pose les conditions.

4 min 33Temps de lecture approximatif

Cette procédure poursuit différents objectifs. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie l’a utilisée treize fois jusqu’à présent pour renvoyer devant les juridictions des pays de l’ancienne Yougoslavie, en l’occurrence, les accusés qui n’étaient pas de hauts responsables.

Elle a ainsi permis de réduire le nombre d’affaires à juger devant le tribunal onusien, et d’épargner à ces accusés par la même occasion des temps de détention et de procédures particulièrement longs.

Alors que les tribunaux ad hoc sont sommés de clôturer leur activité en première instance pour la fin de l’année, l’article 11 bis a son importance dans le cadre des stratégies de fin de mandats.

Mais pas pour le TPIR, qui n’a jusqu’à présent procédé qu’à deux transferts, vers la France. Michel Bagaragaza a lui parcouru l’Europe avant de finalement revenir à Arusha. La Norvège d'abord envisagée, a été disqualifiée par les juges du TPIR car son code pénal ne comprenait pas le crime de génocide. Puis les Pays-Bas qui s’étaient d’abord portés volontaires pour le juger se sont finalement désistés en arguant d'un manque de compétence.

Entre temps, le Procureur a saisi les Chambres de cinq autres affaires de transfert concernant quatre détenus et un accusé en fuite qui auraient du fois-ci aller au Rwanda. La Chambre de première instance III vient d’en rejeter une, celle qui concerne Yussuf Munyakazi.

Dans sa décision du 28 mai, la Chambre de première instance saisie a commencé par analyser si le niveau de responsabilité de Yussuf Munyakazi ne pouvait pas constituer un obstacle au transfert.

En effet, tandis que le Procureur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour choisir quel accusé serait soumis à une telle procédure, le Tribunal, affirment les Juges, est mandaté par les résolutions 1503 et 1534 du Conseil de Sécurité pour transférer des accusés de rang intermédiaire ou subalterne.

Ni le Règlement du TPIR ni son Statut n’en font mention, contrairement à l’article 11 bis c) du RPP du TPIY qui prescrit que la Chambre saisie doit « tenir compte (…) de la gravité des crimes reprochés et de la position hiérarchique de l’accusé ».

C’est la jurisprudence, du TPIY principalement, qui défini qui peut-être considéré comme d’un rang intermédiaire ou subalterne.

N’étudiant que les faits évoqués dans l’acte d’accusation, la Chambre estime que Yussuf Munyakazi, agriculteur aisé, commerçant et leader de la milice du MNRD à Bugarama (Sud), n’a pas eu un rang militaire significatif ni un rôle politique officiel. Elle en conclue que « le niveau de responsabilité de l’accusé est comparable à tous ceux référés aux juridictions nationales».

De plus, par rapport à l’ancien préfet de Gikongoro (sud) Laurent Bucyibaruta, un des deux seuls à avoir été transférés, Munyakazi est de statut inférieur.

Ensuite, bien qu’il ne fasse aucun doute que le Rwanda puisse recevoir un accusé du TPIR, selon le principe posé par le paragraphe A) de l’article 11 bis qui n’autorise le transfert que vers l’Etat où le crime a été commis, ou dans lequel l’accusé a été arrêté ou encore vers celui qui aurait la compétence et serait disposé et préparé à accepter un tel cas, il est d’autres conditions que le Règlement impose d’étudier.

La Chambre « doit être elle-même convaincue que la peine de mort ne sera pas infligée (must satisfy itself that the death penalty will not be imposed) ». Le Rwanda, dans l’optique justement de pouvoir recevoir des accusés du TPIR, a aboli la peine de mort par la loi organique 31/2007 du 25 juillet 2007. Dorénavant, la peine la plus importante est la réclusion criminelle à perpétuité, une peine executée dans l'isolement qui a déja été dénoncé par des organisations de droits de l'homme.

Mais l’abolition ne suffit pas. « La structure de la peine (…) doit assurer une punition appropriée aux infractions pour lesquelles l’Accusé est actuellement poursuivi » et « les conditions de détention (…) doivent être en accord avec les standards internationalement reconnus (conditions of detention (…) must accord with internationally recognised standards) » soutient la Chambre. Les standards visés sont, entre autres, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement adopté en décembre 1988.

C’est là que le bas blesse. L’article 4 de la loi rwandaise de 2007 prévoie que l’emprisonnement à vie, qui peut être assorti de provisions particulières notamment pour les crimes de torture, meurtre, génocide et crimes contre l’Humanité, peut s’effectuer en isolement.

Or, la Chambre considère que « l’interdiction de contact (the prohibition of contact) » ne peut être autorisée que dans le cas où des « raisons de discipline ou de sécurité seraient nécessaires» donc dans « des circonstances exceptionnelles et pour des périodes limitées (in exceptional circumstances and for limited periods) ».

Pour finir, elle évoque des garanties minimum à étudier telles que l’appréciation de la proportionnalité de la peine, un droit de révision par un corps judiciaire et l’accès à des activités particulières « pour assurer un contact humain approprié et une stimulation mentale et physique».

Considérant les crimes pour lesquels Yussuf Munyakazi est poursuivi (génocide ou alternativement complicité de génocide et extermination en tant que crime contre l’Humanité) et l’absence des garanties énumérées, la Chambre conclue que la structure de la peine n’est pas adéquate.

Outre ces deux éléments dégagés, la Chambre refuse le transfert, n’étant pas convaincue que l’accusé bénéficierait d’un procès équitable et elle ne croit pas dans l’indépendance de la justice rwandaise.

Tandis que le Président du TPIR Dennis Byron a déjà annoncé que les procédures en première instance allaient empiéter sur l’année prochaine, le Tribunal, s’il n’accorde pas de transfert vers le Rwanda, seul pays à s’être porté volontaire pour recevoir des accusés, ne va pas tarder à se retrouver en difficultés. Sept détenus espèrent encore l’ouverture de leurs procès, deux n’ont pas encore été transférés vers le TPIR et treize mandats d’arrêts n’ont pas encore été exécutés.

AV/PB/GF