Les Beatles, icônes barbares du groupe Etat islamique

2 min 54Temps de lecture approximatif

Dans un réflexe de survie, leurs otages les avaient appelés les "Beatles" en raison de leur accent anglais. Réputés pour leur terrible cruauté, ces quatre tortionnaires, notamment de journalistes français, sont devenus un symbole du jihadisme mondialisé. Deux vont pouvoir être jugés aux Etats-Unis.

Beaucoup de questions demeurent sur leurs parcours. Mais ils doivent assurément leur célébrité à des crimes commis au nom du groupe Etat islamique (EI, Daech en arabe).

Comment ces soldats de l'horreur ont-ils pu se voir affubler un surnom si sympathique ? Un réflexe d'otages, explique à l'AFP Nicolas Hénin, lui-même otage de l'EI pendant dix mois, notamment sous leur surveillance.

"Dès le premier jour, seul en cellule, j'ai donné des sobriquets à mes geôliers. C'est une façon de briser leur anonymat, de les ridiculiser. Mon préféré, je l'avais appelé +crétino+... Ca fait partie des réflexes de survie de l'otage".

L'accent britannique a fait le reste. Selon l'ancien journaliste français, devenu consultant dans le contre-terrorisme, le crédit revient à John Cantlie, correspondant de guerre et "grand amateur de Rock'n Roll".

Le plus connu assurément fut Mohammed Emwazi alias "Jihadi John", tué par un drône américain en novembre 2015 et présent dans de multiples vidéos d'égorgement.

Aine Lesley Davis ("Paul", le moins présent) a été arrêté en Turquie le 13 novembre 2015. Il a été condamné à sept ans et demi de prison pour infractions terroristes par un tribunal turc.

Alexanda Amon Kotey ("Ringo") et El Shafee el-Sheikh ("George"), détenus en Irak, viennent d'être transférés aux Etats-Unis. Ils sont accusés d'être responsables de la détention et de la décapitation de plus de 27 otages, selon des think-tanks américains.

"Certains des crimes commis par les +Beatles+ relèvent de crimes de guerre, notamment les prises d'otages, la torture, les viols et les décapitations dans des vidéos", assure Tanya Mehra, chercheure au Centre international du contre-terrorisme (ICCT) de La Haye. Kotey et el-Sheikh "se sont eux-mêmes impliqués dans certains de ces crimes pendant des entretiens".

- Prestige morbide -

A leur apogée, les "Beatles" avaient acquis une solide réputation au sein du califat. "Leurs méthodes sadiques n'avaient pas de limites, y compris la crucifixion, la noyade, les simulacres d'exécutions", racontent Anne Speckhard et Ardian Shajkovci après leur rencontre avec Kotey en cellule dans sa prison de Rojava, en Syrie.

Les survivants ont raconté "les pistolets sur la tempe, les sabres dans la gorge, les coups, la torture à l'électricité" et les séances d'exécution infligées en vidéo, ajoutent les chercheurs dans un article pour le Centre international d'études de l'extrémisme violent (ICSVE).

Une cruauté génératrice de prestige dans les rangs de l'EI. "Ils se considéraient comme les forces spéciales du califat", assure Nicolas Hénin, décrivant "une très grande arrogance, un niveau de conviction et de mépris pour les faits et un détachement par rapport à la violence qui étaient assez stupéfiants".

De quoi leur garantir un lien direct au porte-parole de l'EI, Abou Mohammad al-Adnani, et au "calife", l'Irakien Abou Bakr al-Baghdadi. "Ils ont bénéficié de leur statut de célébrités", assure à l'AFP Dan Byman, professeur et expert du jihadisme à l'université de Georgetown, à Washington. "Ils étaient porteurs d'une mystique +badass+ qui a au moins motivé quelques individus à rejoindre le groupe".

De fait, la stratégie de Daech s'est appuyée sur une communication multilingue, via des vidéos à l'esthétique hollywoodienne dont les codes étaient compris des jeunes générations, rappelle Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, auteur d'ouvrages sur le sujet.

"Un des bons moyens de monter dans la hiérarchie était d'assumer une fonction de recrutement en se mettant en scène", relève-t-il. "C'était un bon moyen d'avoir un statut différent du combattant de base".

Désormais, leur histoire est entre les mains de la justice américaine. Mike Haines, frère de David Haines, tué par les "Beatles" en 2014 et fondateur de l'association Global Acts of Unity, salue la fin d'une infernale bagarre juridique pour leur faire quitter l'Irak.

"Notre souffrance a été atroce et les trois dernières années ont constitué une attente interminable", a-t-il déclaré à l'AFP. "Mais j'ai confiance dans la justice et ne peut que continuer à les défier (...) en promouvant la tolérance et en soulignant les dangers et les conséquences de leurs actes barbares".