05.12.2003 - TPIR/MEDIAS - MEDIAS : LA DEFENSE INDIGNEE PAR LE JUGEMENT ET LA SENTENCE

Arusha 5 décembre (FH) - Les avocats de la défense dans le procès des médias se déclarent indignés par le jugement portant condamnation de leurs clients rendu mercredi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). l'historien Ferdinand Nahimana, un des fondateurs de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) qui a incité au génocide anti-tutsi et aux massacres D'opposants en 1994, a été condamné à la prison à perpétuité ainsi que le "self- made- man" Hassan Ngeze, ancien directeur et rédacteur en chef de la revue extrémiste hutue Kangura.

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Ils ont été reconnus coupables de génocide, D'entente en vue de commettre le génocide, D'incitation directe et publique à commettre le génocide et de crimes contre l'humanité (extermination et persécution).

Reconnu coupable des mêmes crimes, leur co-accusé, le juriste Jean Bosco Barayagwiza, un autre fondateur de la RTLM, a vu sa peine réduite à 35 ans demprisonnement en guise de réparation des vices de procédure qui avaient entaché son arrestation et sa détention provisoire.

"Un jugement singulier"
Dans un communiqué de presse publié au lendemain du prononcé du jugement et de la sentence, l'avocat français de Ferdinand Nahimana, Me Jean-Marie Biju-Duval, évoque un "singulier jugement que celui qui, pour établir des faits, commence par écarter ceux qui en sont les témoins directs!".

La chambre a jugé non crédible le témoignage de deux anciens journalistes de la RTLM, le Belge Georges Ruggiu et la Rwandaise Valérie Bemeriki. Elle a en outre "généralement" rejeté la version des événements fournie par l'accusé Nahimana.

Les juges ont estimé que Ferdinand Nahimana était "responsable de la ligne éditoriale de la RTLM" et n'avait rien fait "pour empêcher la radio de devenir cette machine de
guerre et de génocide".

Me Biju-Duval déclare, pour sa part que, "fondateur, parmi D'autres, de cette radio et membre de son conseil D'administration, Ferdinand Nahimana n'y a jamais occupé de fonction de direction, ne s'y est exprimé à aucun moment en 1994 et rompt avec elle dès le début des massacres avant même que les émissions ne basculent dans le crime".

Ferdinand Nahimana s'est D'abord réfugié à l'ambassade de France à Kigali, puis au Burundi, avant de faire un voyage en Tunisie, rappelle son avocat. "Peu importe, c'est lui, encore lui, toujours lui, qui selon les juges, doit diriger la RTLM", s'indigne Me Jean-Marie Biju-Duval.

l'avocat français affirme qu'en 1994, la RTLM diffusait sous la supervision "de son directeur effectif Phocas Habimana et de son rédacteur en chef Gaspard Gahigi, agissant sous le contrôle permanent de l'armée dont elle reçoit instructions, financement et matériel". Phocas Habimana et Gaspard Gahigi sont présumés décédés.

"Pas un acte, pas un mot, pas une parole ne relie directement et personnellement Ferdinand Nahimana au génocide" écrit Me Biju-Duval, dans son communiqué.

Pour lui, son client a été condamné parce qu'il fallait que "la radio du génocide trouve un coupable à sa mesure, un bouc émissaire médiatique, un coupable à dimension internationale et présenté comme tel à l'opinion mondiale"

De son côté, l'avocat américain Me John Floyd, qui représente Hassan Ngeze, a déclaré que ce jugement constitue "la pire des déceptions en matière de justice internationale. En trente cinq ans de pratique, je n'ai jamais vu une chose pareille", a-t-il dit. Me Floyd, de même que Me Biju-Duval, feront appel.

Liberté D'expression?
"Ce jugement est un scandale", a pour sa part renchéri le co-conseil de Ngeze, le Canadien Me René Martel.

"Mon client n'a fait qu'exercer sa liberté D'expression dans un contexte de guerre. Il y avait Radio Muhabura et des journaux proches du Front patriotique rwandais (FPR)", explique Me Martel. Selon le co-conseil de Ngeze, la revue Kangura réagissait aux messages de cette radio et aux publications pro-FPR.

Le jugement indique que "les articles de Kangura véhiculaient le mépris et la haine contre les Tutsis et en particulier contre les femmes tutsies présentées par le journal comme des femmes fatales".

La revue avait notamment publié les "dix commandements des Hutus" qui "décrivent les Tutsis comme oppresseurs et des personnes cherchant à éliminer les Hutus", relève le jugement.

"Kangura n'est pas l'auteur de ces dix commandements. Ils existaient depuis longtemps", rétorque Me Martel. La chambre a conclu que par le biais de Kangura, Hassan Ngeze a "empoisonné" les esprits des lecteurs et causé la mort de milliers de civils innocents.

Un tribunal "enchaîné"
Le troisième condamné, Jean Bosco Barayagwiza, affirme quant à lui, dans un communiqué parvenu à la presse, avoir été "jugé et condamné par un tribunal enchaîné".

Barayagwiza a boycotté ce procès depuis son ouverture en octobre 2000, alléguant que le Tribunal dArusha est manipulé par Kigali. "Le verdict confirme que le TPIR reste une machine à condamner et non pas un instrument de justice internationale", déclare le condamné Barayagwiza.

Pour lui, "il est devenu évident que son objectif[le TPIR] n'est pas de juger les responsables des crimes quelle que soit leur appartenance ethnique mais de traquer les leaders hutus, de faire semblant de les juger, de les condamner à des peines suffisamment lourdes pour qu'ils soient à jamais écartés du pouvoir".

Barayagwiza a été représenté par un avocat commis D'office, l'Italien Me Giacomo Barletta Caldarera. Celui-ci devrait également faire appel.

En plus de son rôle à la RTLM, Jean Bosco Barayagwiza, est, avec Hassan Ngeze, un des fondateurs de la Coalition pour la défense de la république (CDR), un parti radical anti-tutsi.

Le jugement indique qu'ils ont distribué des armes aux miliciens Impuzamugambi de ce parti et supervisé des barrages routiers où des Tutsis étaient tués.

ER/AT/GF/FH(ME'1205A)