14.08.2003 - TPIR/MEDIAS - PLAIDOIRIES LA SEMAINE PROCHAINE DANS l'UN DES PLUS IMPORTANTS PROCES DEV

Arusha, le 14 août 2003 (FH) - Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) entendra du 18 au 22 août prochain les plaidoiries dans le procès de trois Rwandais poursuivis pour utilisation des médias à des fins de génocide. Considéré comme l'un des plus importants dont le TPIR est saisi, le procès des "médias de la haine" concerne deux présumés hauts responsables de la Radio-télévision libre des Mille collines (RTLM), Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza, ainsi que l'ancien directeur et rédacteur en chef de la revue Kangura, Hassan Ngeze.

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Le procureur allègue que la radio RTLM et la revue Kangura ont incité au génocide anti-tutsi et aux massacres D'opposants qui ont fait un million de morts au Rwanda entre avril et juillet 1994, selon une estimation du gouvernement.

Les accusés
Né en 1950 à Gatonde (province Ruhengeri, nord du Rwanda), Ferdinand Nahimana est historien et ancien professeur à l'Université nationale du Rwanda (UNR). De décembre 1990 à mars 1992, il a dirigé l'Office rwandais D'information (ORINFOR), un établissement public qui gère l'ensemble des médias du gouvernement. En 1994, il était un des ministres désignés par l'ex-parti présidentiel, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), pour le représenter au sein du gouvernement de transition à base élargie auquel devait être associé l'ex-rébellion à dominante tutsie aujourD'hui au pouvoir à Kigali, le Front patriotique rwandais (FPR).

Jean-Bosco Barayagwiza, quant à lui, est né en 1950 en commune Mutura (province Gisenyi, nord-ouest du Rwanda). Après ses études supérieures dans l'ex-Union Soviétique, il a fait sa carrière au sein de l'administration du ministère des affaires étrangères et dans la diplomatie. Il a été notamment haut cadre au siège de l'Organisation de l'Unité africaine (actuellement Union Africaine) à Addis Abbeba. En 1994, il était directeur des affaires politiques au ministère des affaires étrangères. Jean-Bosco Barayagwiza est un des membres fondateurs du parti accusé de radicalisme anti-tutsi, la Coalition pour la défense de la République (CDR). Il dirigeait son comité régional à Gisenyi.

Le troisième accusé, Hassan Ngeze, est né en commune Rubavu à Gisenyi en 1961, selon les documents officiels du Tribunal. Le concerné, de son côté, affirme qu'il est né en 1957. "C'est ce que m'a dit ma mère", a-t-il indiqué. Contrairement à ses deux coaccusés qui sont des intellectuels, Hassan Ngeze a un parcours particulier. Selon des témoins de l'accusation , il aurait D'abord été cordonnier, puis "convoyeur" de bus (aide-chauffeur) et "changeur de monnaie" avant de devenir journaliste. Hassan Ngeze affirme avoir commencé à exercer le métier de journaliste en 1978 en collaborant à "différents journaux rwandais". C'est en mai 1990 qu'il crée la revue Kangura. Comme Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan Ngeze est parmi les fondateurs du parti CDR.

Kangura et RTLM
La RTLM a entamé ses émissions en juillet 1993, trois ans après la création de Kangura.

Le procureur affirme que les deux médias visaient un même objectif, à savoir promouvoir l'idéologie hutue extrémiste et inciter à la haine et la violence contre les Tutsis.

"Depuis sa création, une collaboration étroite a été établie entre la RTLM et le journal Kangura en matière D'incitation à la haine ethnique et de la préparation des listes avec des noms des membres de la population tutsie et des Hutus modérés à exterminer", indique le procureur.

Selon l'accusation, les émissions de la RTLM et les articles de Kangura "reprenaient la description des Tutsis comme étant l'ennemi et les membres de l'opposition comme étant leurs complices".

Les deux médias utilisaient des expressions désobligeantes telles que Inyenzi (cancrelats) à l'égard des Tutsis et des opposants et les qualifiaient de traîtres qui méritent la mort, ajoute le procureur.

"Dans l'une de ses premières éditions en décembre 1990, le journal Kangura publia "les dix commandements des Bahutus" qui constituaient non seulement un appel sans équivoque au mépris et à la haine de la minorité tutsie mais aussi une diffamation et une persécution à l'encontre des femmes tutsies", indique l'acte D'accusation.

Evoquant le rôle joué par la RTLM, le procureur affirme que cette radio était, dans un premier temps, axée sur la musique et D'autres programmes populaires, avant qu'elle ne fasse évoluer sa stratégie, "pour aboutir, en 1994, à l'incitation à l'extermination des Tutsis et l'élimination des Hutus de l'opposition".

Au lendemain de l'attentat mortel du 6 avril 1994 contre l'avion de l'ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, la RTLM est devenue, "une arme indispensable" dans l'exécution du génocide, allègue le procureur.

Allégations spécifiques
Le procureur allègue que Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayagwiza faisaient partie du comité D'initiative de la RTLM, l'organe fondateur de cette radio et qu'à ce titre, ils avaient le contrôle sur les émissions ainsi que sur le personnel de la station, notamment les journalistes et les présentateurs.

Ferdinand Nahimana est décrit comme "l'idéologue" et le "stratège" de la RTLM.

Ferdinand Nahimana est en outre accusé de haïr les Tutsis. Selon le procureur, il aurait "écrit et publié des articles et des ouvrages qui montaient la population contre les Tutsis et les Hutus modérés et qui prônaient la supériorité des Hutus du nord" du Rwanda sur les autres habitants.

Jean-Bosco Barayagwiza est pour sa part notamment accusé D'avoir eu un ascendant sur les milices qui ont exécuté le génocide.

Il lui est en particulier reproché D'avoir supervisé des barrages routiers où des massacres ont eu lieu en 1994. Quelques années plus tôt, il aurait distribué des armes aux miliciens, instigué la confection de listes de personnes qui seront éliminées et incité à tuer.

Considéré de son côté comme un membre influent du parti CDR, Hassan Ngeze est également, aux yeux du procureur, un des dirigeants des Interahamwe à Gisenyi.

Il aurait en plus participé directement à des tueries.

Les accusés plaident non coupable.

Procédure
Ferdinand Nahimana et Jean-Bosco Barayayagwiza ont été arrêtés au Cameroun le 26 mars 1996, Hassan Ngeze au Kenya le 18 juillet 1997.

Le procès a commencé le 23 octobre 2000. Le parquet a clôturé sa preuve le 12 juillet 2002 après avoir cité quarante-sept témoins sur les quatre-vingt-dix-sept annoncés au départ.

La défense a commencé la présentation de sa cause le 16 septembre 2002 et l'a terminée le 9 mai 2003 après avoir cité quarante-quatre témoins : trente pour Ngeze, treize pour Nahimana et un pour Barayagwiza.

La défense de Barayagwiza a eu du mal à faire comparaître des témoins, suite au manque de collaboration du client.

Jean-Bosco Barayagwiza boycotte son procès depuis le début, alléguant que le TPIR est manipulé par le gouvernement rwandais. Il ne reconnaît pas ses avocats.

Jean-Bosco Barayagwiza a été irrité par un arrêt de la chambre D'appel de mars 2000 ordonnant son maintien en détention, contrairement à une précédente décision de le relaxer datée de novembre 1999. Se basant sur des vices de procédure relatifs à son arrestation et à sa détention provisoire, la chambre D'appel avait opté pour sa libération. Elle a changé D'avis après que le procureur ait présenté "des faits nouveaux".

Jean-Bosco Barayagwiza se considère dorénavant comme un "prisonnier politique" détenu pour ses opinions.

Ferdinand Nahimana est représenté par l'avocat français Me Jean-Marie Biju-Duval et une consoeur anglaise, Me Diana Ellis, Hassan Ngeze par l'avocat américain Me John Floyd et un confrère canadien Me Rene Martel.

Jean-Bosco Barayagwiza est de son côté assisté par l'avocat italien Me Giacomo Barletta Caldarera.

Les avocats ont déjà donné un avant goût de leurs plaidoiries lorsque, le 16 septembre 2002, ils présentaient une requête en acquittement au nom des trois accusés.

La défense de Barayagwiza et de Nahimana ont partiellement obtenu gain de cause. Nahimana a été acquitté du chef D'assassinat, Barayagwiza de trois chefs : assassinat, atteinte grave à la dignité des personnes particulièrement les traitements humiliants et dégradants et pillage. Dans leur requête, les avocats avaient plaidé que le parquet n'a fourni aucune preuve qui pourrait amener "un juge raisonnable à établir la culpabilité" des accusés.

"S'il était sûr des faits, le procureur n'aurait pas dû faire comparaître quarante-sept témoins", a indiqué, en substance, Me John Floyd. La défense de Barayagwiza, de son côté, a reproché au procureur de criminaliser les institutions pour en déduire la culpabilité des individus.

Me Biju-Duval, pour sa part, a affirmé que le procureur n'a fourni aucune preuve que la création de la RTLM et de Kangura "se serait inscrite dans une stratégie des 'personnalités de l'entourage du président'[Juvénal Habyarimana] visant à la mise sur pied de véritables médias de la haine', et que ces médias auraient 'ciblé' les Tutsis dès 1993". La défense de Nahimana estime en outre que le parquet n'a pas démontré que l'accusé disposait "D'un pouvoir effectif de contrôle et de direction au sein de la RTLM" en 1994.

Me Biju Duval a par ailleurs soutenu que plusieurs allégations renvoient à une période antérieure à 1994, pour laquelle le TPIR n'est pas compétent.

Le parquet a été représenté par les Américains Stephen Rapp et Simone Monasebian, la Kenyane Charity Kagwi, l'Ivorien Alphonse Van et le Camerounais William Egbe. l'accusation maintient que les accusés se sont entendus pour commettre les crimes allégués et qu'ils devraient en être tenus responsables.

Le procès des médias se déroule devant l'ancienne première chambre de première instance du TPIR présidée par la juge sud-africaine Navanethem Pillay, et comprenant en outre les juges norvégien Erik Mose et sri-lankais Asoka de Zoysa
Gunawardana.

AT/GF/FH/(ME'0814A)