OFFENSIVE DU TPIR POUR REDORER SON BLASON AU RWANDA

Kigali, 27 septembre 2000 (FH) - Les relations entre le Rwanda et le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) ont connu quelques difficultés dans le passé, mais aujourd'hui, la coopération est au beau fixe, déclarait le premier ministre rwandais, Bernard Makuza, le 25 septembre dernier. Le TPIR fait tout en effet pour changer son image au Rwanda.

4 min 25Temps de lecture approximatif

Le TPIR est présent à Kigali (et non seulement à Arusha, au nord de la Tanzanie, son siège principal, et à La Haye, siège du procureur) par le siège du procureur adjoint, qui est en fait l'essentiel du bureau du procureur.

La tension entre le Tribunal et le Rwanda s'est manifestée sous le mandat de l'ancien procureur Louise Arbour. A plusieurs reprises, la Canadienne a été reçue à Kigali par des manifestations publiques hostiles, auxquelles participaient même certaines autorités rwandaises. Le principal grief des manifestants et du gouvernement rwandais était la lenteur du TPIR, une machine "plusieurs fois plus riches que la justice rwandaise mais plusieurs fois plus lente qu'elle", disait-on.

En mai 1999, le Ministre rwandais de la justice proteste vigoureusement contre la peine qui vient d'être prononcée par le TPIR contre l'ancien homme d'affaires de Kibuye, Obed Ruzindana. Dans un communiqué, Jean de Dieu Mucyo juge le verdict "très en deçà du poids du crime qu'Obed Ruzindana a commis, crime dont le TPIR lui-même reconnaît qu'il dépasse tout entendement". Pour le Ministre, les procès du TPIR qui suivront risquent de minimiser le génocide et la manière dont il a été commis au Rwanda.

De son côté, l'organisation des rescapés du génocide de Kibuye parle de "clémence injustifiée pour le leader des miliciens Interahamwe qui ont exécuté le génocide sur les hauteurs de Bisesero, au stade Gatwaro, et au home Saint-Jean". Si Obed Ruzindana écope de 25 ans seulement de prison, à quelle peine seront alors condamnés ceux qui ont exécuté ses ordres, dont certains se trouvent vraisemblablement dans des prisons rwandaises et risquent la peine de mort ? s'interrogent les rescapés de génocide de Kibuye.

En décembre 1999, le Gouvernement rwandais suspend sa coopération avec le TPIR en signe de protestation contre la décision de la chambre d'appel de ce même Tribunal international de relâcher, pour vice de procédure, Jean-Bosco Barayagwiza, ancien conseiller politique du ministère des affaires étrangères, considéré comme l'un des cerveaux du parti extrémiste hutu CDR (Coalition pour la Défense de la République) et l'un des fondateurs et idéologues de la radio RTLM (Radio Télévision Libre des Mille Collines), qui incitait à la haine et à la violence. Cette coopération restera suspendue jusqu'à ce que le TPIR revienne sur sa décision, affirme Kigali.

Pendant plusieurs jours, le gouvernement rwandais refuse le visa d'entrée au nouveau procureur du TPIR, qui succède à Louise Arbour, démissionnaire. Quand ce visa lui est finalement accordé, la Suissesse Carla del Ponte séjourne à Kigali pendant quatre jours sans être reçue par aucune autorité rwandaise.

Ces différents incidents ne sont pas restés sans écho. Ainsi, de nombreuses réformes, en plus de la construction d'une troisième chambre à Arusha, ont été entreprises pour accélérer les procès du TPIR. Acutellement, le Tribunal est renforce sa présence au Rwanda, pour tenter de bien apparaître et convaincre les Rwandais.

De nouveaux locaux viennent d'être construits pour son bureau de Kigali. Un centre d'information et de documentation du TPIR a été inauguré dans la capitale rwandaise afin, selon le greffier du Tribunal, le Nigérian Agwu Ukiwe, de "raconter aux Rwandais comment la communauté internationale, par l'intermédiaire du TPIR, s'est mise en quête de justice afin de punir le crime de génocide et leur dire la signification qu'ils doivent accorder à cet événement".

Enfin, le TPIR vient de lancer un programme d'aide aux victimes au Rwanda. Il s'agit d'un pas important, d'après le greffier du TPIR, car ce programme contient les principaux éléments permettant de répondre aux besoins des victimes, tels que des conseils juridiques, des conseils psychologiques, de la rééducation physique et une aide pendant la réinstallation.

Ce programme, qui n'est qu'une première étape selon M.Okali, sera exécuté à travers cinq ONG féminines locales, à savoir AVEGA-Agahozo (Association des Veuves du Génocide d'Avril), ASOFERWA (Association Sociale pour les Femmes Rwandaises), Rwanda Women Network, Haguruka (Association pour la Défense des droits de la femme et de l'enfant), et Pro-femmes Twese Hamwe (collectif d'une trentaine d'ONG féminines du Rwanda).

Plusieurs autres revendications rwandaises restent encore en suspens, mais la première pourrait être en partie satisfaite prochainement. Le gouvernement rwandais souhaite en effet que les procès du TPIR commencent à se dérouler à Kigali, affirmant pouvoir garantir la sécurité de leur environnement, et à plus ou moins long terme le transfert pur et simple de l'ensemble du TPIR à Kigali.

L'idée de procès du TPIR au Rwanda avait été lancée par le précédent procureur du TPIR, Louise Arbour, laquelle avait déclaré à Kigali, en août 1999, que le TPIR "devra probablement commencer de façon relativement modeste et prudente à organiser des audiences, partielles ou complètes, à Kigali, en raison de toute une infrastructure qui doit être mise en place, par exemple sur la question de la détention de l'accusé et de sa sécurité, des services de traduction, des services de sténographie...".

A cette époque, Mme Arbour avait eu des discussions avec les autorités rwandaises pour explorer l'idée de se servir d'une salle d'audience dans l'édifice de la Cour suprême du Rwanda, "une très belle salle dont le TPIR pourrait occasionnellement très bien s'accommoder si elle était équipée de façon appropriée pour l'interprétation simultanée et les autres exigences qui sont particulières aux travaux de la justice internationale". Cette salle doit en effet être réaménagée avec le concours du TPIR, mais les travaux n'ont pas encore commencé. Il reste qu'un transfert du TPIR dans son ensemble à Kigali ne saurait être envisagé dans l'état actuel de son statut, à savoir la résolution du Conseil de sécurité du 8 novembre 1994, qui fixe son siège à Arusha.

Le gouvernement rwandais souhaite par ailleurs que les peines prononcées par le TPIR (dont la peine maximale est la prison à vie) soient purgées aussi au Rwanda. Selon le ministre rwandais de la justice, "si nos prisons ne répondent pas aux normes onusiennes, comme on nous le reproche souvent, aidez-nous à en réaménager une au moins en conséquence". Kigali demande enfin au TPIR de penser à accepter la constitution des parties civiles dans ses procès, ainsi qu'à accorder les dommages nécessaires aux victimes. Cela n'est toutefois pas prévu dans le mandat du Tribunal Pénal International.

WK/PHD/FH (RW&0927A)