L'ACCUSATION DEMANDE LA RECLUSION A VIE POUR L'ANCIEN BOURGMESTRE DE MUSHUBATI

Genève, le 25 mai 2000 (FH) - L’auditeur Claude Nicati, qui fait office de procureur dans la justice militaire, a requis jeudi la prison à perpétuité pour l’ancien bourgmestre de Mushubati (préfecture de Gitarama, centre du Rwanda). Au terme d'un réquisitoire de quatre heures, il a demandé la confirmation du jugement de première instance.

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La défense avait plaidé l'acquittement la veille. Le Tribunal militaire d’appel 1 devrait rendre son verdict vendredi.

Le major Nicati a dépeint Fulgence Niyonteze comme un menteur et un extrémiste hutu. Selon lui, l'accusé a bel et bien fait assassiner deux enfants lors de la réunion du Mont-Mushubati et une personne au camp de Kabgayi. Pour l’auditeur, les témoignages qui accusent l’ancien bourgmestre sont constants et il n’y a pas de raison de les remettre en question.

Selon le major Claude Nicati, Fulgence Niyonteze, qui plaide non coupable, a menti tout au long de la procédure. L’auditeur neuchâtelois a dressé de l’accusé le portrait d’un homme très intelligent, connaissant très bien le monde occidental. "Il sait parfaitement comment répondre au tribunal pour mieux exploiter le fossé qui existe entre les cultures occidentale et rwandaise".

D’après le représentant de l’accusation, Fulgence Niyonteze a démontré qu’il savait mentir. L'auditeur a notamment mentionné une écoute téléphonique relatant un entretien entre l’ancien bourgmestre et l’une de ses compatriotes. Cette dernière allait être auditionnée dans le cadre de sa demande d’asile et Fulgence Niyonteze lui conseillait "de ne pas trop en dire".

Le procureur militaire a analysé les sympathies politiques de l’ancien bourgmestre qui était membre du MDR (Mouvement démocratique républicain). L’auditeur a relevé que, avant l’introduction du multipartisme, Fulgence Niyonteze avait travaillé dans un ministère. Ce qui démontrerait qu’il était proche de l’ancien parti unique, le MRND. De plus l’accusé serait, contrairement à ce qu’il prétend, quelqu’un de très ambitieux. "Etre bourgmestre d’une ville de 80 000 habitants à 29 ans, ce n’est pas rien" a insisté le procureur militaire.

Un extrémiste

"Fulgence Niyonteze n’était pas le modéré et le pacifiste qu’il dit être". Au sein de son parti, il n’aurait pas rejoint ceux qui voulaient poursuivre les négociations avec le FPR. Le major Claude Nicati a notamment remis en cause le témoignage de l’ancien premier ministre MDR Dismas Nsengiyaremie. Ce dernier avait affirmé la semaine passée, devant la cour militaire, que l'ancien bourgmestre avait toujours été un centriste et qu’il soutenait les accords d’Arusha. Mais selon l’auditeur l’ancien premier ministre lui-même aurait été proche des extrémistes hutus.

Une autre preuve de l’extrémisme de l’accusé seraient les contacts qu’il a eus avec le colonel Kayumba et le major Ntabakuze, tous deux détenus par le TPIR (Tribunal pénal international sur le Rwanda). L’auditeur mentionne également une écoute téléphonique lors de laquelle Fulgence Niyonteze et son épouse parlaient ironiquement avec une tierce personne d’Inyenzi (terme péjoratif signifiant cafard et désignant les Tutsis).

Claude Nicati reconnaît que l’accusé a certainement sauvé des Tutsis. "Mais beaucoup d’autres génocidaires ont aussi aidé des Tutsis". Si l’ancien bourgmestre s’était réellement opposé au génocide, il aurait été destitué de sa fonction.

Témoignages constants

"Organiser des travaux collectifs pour faire fuir les charbonniers et les pyromanes en plein conflit, c’est une hérésie" a clamé l’auditeur, qui ne croit absolument pas à la version de l’accusé concernant la réunion du Mont-Mushubati. Pour corroborer ses propos, il a rappelé que plus le FPR avançait, plus des actions de "débroussaillage" - dans le sens de tuer des Tutsis- avaient été organisées.

Comme pour les événements du Mont-Mushubati, Claude Nicati croit les témoins qui déclarent avoir vu l’accusé au camp de réfugiés de Kabgayi. L’auditeur n’a pas remis en question les témoignages comme l’avaient fait hier, durant de longues heures, la défense. Sans reprendre témoin après témoin, il a expliqué que leurs versions avaient été constantes et que leurs auditions s’étaient déroulées dans des conditions satisfaisantes tant au Rwanda qu’à Lausanne en première instance.

"C’est normal que les témoignages comportent quelques erreurs, les faits remontaient à plusieurs années et les témoins pouvaient être impressionnés de se retrouver devant une cour militaire". Et l’auditeur d'ajouter que si la défense avait voulu examiner la véracité de ces témoignages jusqu’au bout, elle aurait dû demander de les auditionner à nouveau, ce qu’elle n’a pas fait.

Claude Nicati rejette l’idée que les témoins auraient été manipulés par des syndicats de délateur, même si ce problème existe.

Jurisprudence critiquable du TPIR
En matière de droit, pour Claude Nicati, les Conventions de Genève s’appliquent à ce cas puisque Fulgence Niyonteze en tant que bourgmestre était agent de l’Etat rwandais, l’une des parties au conflit. Il a critiqué la décision du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans le jugement Akayesu, qui n’avait pas condamné cet ancien bourgmestre pour crimes de guerre. Pour faire contrepoids, l’auditeur a cité de nombreuses autres jurisprudences mentionnant le cas de non-combattants ayant été condamnés pour violations du droit de la guerre.

En conclusion, le major Claude Nicati a demandé la confirmation du jugement du Tribunal militaire de division 2 et donc la condamnation à perpétuité de l’accusé et son expulsion pour 15 ans du territoire suisse, pour assassinat, instigation à assassinat et crimes de guerre.

Le Tribunal militaire d’appel 1 présidé par le Colonel genevois Luc Hafner a commencé ses délibérations jeudi après-midi et le verdict devrait en principe être communiqué vendredi matin à 11h au Palais de justice de Genève.

VB/PHD/FH (FU%0525a)