Covid au Brésil: report de la divulgation d'un rapport incriminant Bolsonaro

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Le Sénat du Brésil a annoncé dimanche le report sine die de la divulgation très attendue d'un rapport d'une commission d'enquête censé incriminer Jair Bolsonaro pour sa politique jugée irresponsable et "criminelle" durant la pandémie de coronavirus.

Les sénateurs souhaitaient avoir plus de temps pour débattre du contenu de ce rapport, dont la publication était prévue mardi, et entendre de nouveaux témoins.

Vendredi, le rapporteur Renan Calheiros avait déjà annoncé au moins 11 chefs d'accusation contre le président, dont "homicide par omission", "charlatanisme" et "crime contre l'humanité". Plusieurs ministres et trois fils de Jair Bolsonaro devraient également être incriminés.

Les analystes estiment toutefois que ce rapport n'aura qu'un impact symbolique à court terme, le dirigeant d'extrême droite disposant encore du soutien nécessaire au Parlement pour faire barrage à une éventuelle procédure de destitution.

Mais les conséquences politiques pourraient s'avérer désastreuses pour celui qui est loin d'être assuré d'être réélu dans moins d'un an, car donné largement battu par l'ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva.

Depuis cinq mois, la petite salle du Sénat où se sont déroulées les auditions de la commission d'enquête a été le théâtre d'échanges souvent houleux, avec parfois des insultes, des larmes - et même l'arrestation d'un témoin pour parjure.

- "Pratiques effrayantes" -

Ce grand déballage, diffusé en direct à la télévision des semaines durant, a mis au jour les principales "omissions" du gouvernement durant la crise sanitaire, qui a fait plus de 600.000 morts.

Les sénateurs ont notamment tenté d'établir les responsabilités dans des épisodes cauchemardesques comme la mort de dizaines de patients asphyxiés en janvier faute d'oxygène dans les hôpitaux de Manaus, en Amazonie.

En auditionnant des ministres, des parlementaires, mais aussi des représentants d'entreprises privées, la commission s'est aussi penchée sur d'autres faits connus, comme les retards dans l'acquisition de vaccins.

Mais au fil des auditions, des révélations explosives ont été faites, notamment sur des scandales de corruption.

Jair Bolsonaro est soupçonné par la commission d'enquête sénatoriale d'avoir fermé les yeux sur une affaire de vaccins surfacturés, qui lui vaut déjà une enquête du parquet.

Le gouvernement est également accusé de promouvoir des "traitements précoces" inefficaces contre le virus, notamment à base d'hydroxychloroquine, médicament controversé dont le président n'a cessé de vanter les mérites.

Mais les Brésiliens ont surtout été choqués par les accusations gravissimes contre Prevent Senior, service hospitalier privé et mutuelle de santé, soupçonné d'avoir mené des expériences clandestines avec ces traitements à l'insu de ses patients et d'avoir minimisé les chiffres de décès du Covid-19.

"Ce sont des pratiques effrayantes, du jamais vu dans des hôpitaux depuis le Seconde Guerre mondiale", a déclaré à l'AFPTV Bruna Morato, avocate de 12 médecins disant avoir été contraints par Prevent Senior à prendre part à ces expériences.

- "Mascarade" -

La commission d'enquête du Sénat n'a pas le pouvoir d'engager directement des poursuites, mais son rapport sera envoyé aux organes compétents comme le parquet ou la Cour des comptes, et pourrait également être transmis à la Cour pénale internationale, où d'autres plaintes ont déjà été déposées contre Jair Bolsonaro.

"Nous avons découvert beaucoup de choses, Bolsonaro et son entourage ont commis beaucoup de crimes, desquels il devra répondre, au Brésil, mais aussi à l'étranger", a déclaré à l'AFP le président de la commission, Omar Aziz.

Pour le politologue Cremoar de Souza, le rapport aura surtout un "impact symbolique", en contribuant à l'usure d'un président dont la cote de popularité est au plus bas.

Pour le moment, Jair Bolsonaro est protégé par deux alliés qui occupent des fonctions-clé, le procureur général Augusto Aras et le président de la Chambre des députés, Arthur Lira.

M. Aras est le seul à pouvoir inculper le président pour des crimes de droit commun, ce que Creomar de Souza juge "peu probable".

Quant à Arthur Lira, c'est lui qui décide de soumettre ou non au vote des députés l'ouverture d'une procédure de destitution.

Plus de 130 demandes de destitution ont déjà été déposées, mais ignorées par le président de la chambre basse. M. Lira est un des chefs de file du "Centrao", groupe informel de parlementaires qui monnaient leur soutien en échange de postes importants ou de subventions pour leurs fiefs électoraux.