L'insaisissable "émir blanc", mentor de jihadistes en Ariège

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Entouré de ses chevaux dans un décor bucolique, Olivier Corel, surnommé "l'émir blanc", mène une retraite sans histoires à Artigat. C'est pourtant dans sa modeste maison de ce village d'Ariège qu'il a accueilli de nombreux jihadistes, dont Mohamed Merah.

Aujourd'hui âgé de 75 ans, ce Syrien naturalisé français "a été le personnage clé dans l'endoctrinement et l'affermissement des certitudes qu'a développées Merah" avant ses attaques de mars 2012 à Montauban et Toulouse, dit à l'AFP Mohamed Sifaoui, auteur de livres sur l'islam politique et le terrorisme.

Prédicateur jihadiste ou simple guide spirituel? Des jeunes musulmans d'Occitanie, de la région parisienne et même de Belgique l'ont côtoyé de près avant de rejoindre Al-Qaïda ou le groupe Etat islamique en Irak et en Syrie, selon ce journaliste qui l'a rencontré.

Surveillé par les services de renseignement depuis plus de vingt ans, cible de multiples perquisitions, l'homme à la longue barbe blanche n'a jamais été condamné.

"A l'exception d'une fois, en novembre 2015, pour détention illégale d'un fusil de chasse", précise M. Sifaoui.

Proche des Frères musulmans dans sa Syrie natale, Abed-al-Illah al Dandachi -devenu Olivier Corel lors de sa naturalisation en 1983- se tourne progressivement vers une doctrine salafiste au début des années 1990.

- Imam parallèle et "gourou" -

Avec son épouse Nadia et cinq autres familles d'origine syrienne, il s'installe dans un hameau isolé d'Artigat, bourg de 700 âmes au pied des Pyrénées, raconte Patrick Cauhapé, maire de 1989 à 2014.

"Les femmes étaient voilées, les enfants n'allaient pas à l'école du village, une ancienne étable faisait office de salle de prière... Et des tas de vieilleries étaient abandonnées sur le bord de la route", se souvient-il.

A la mosquée de Bellefontaine, dans la cité du Mirail à Toulouse, Olivier Corel "va exercer une sorte d'autorité parallèle à celle de l'imam officiel, en prodiguant des cours de théologie en petit comité", indique M. Sifaoui.

"Les jeunes le percevaient comme un mentor, un gourou", dit-il.

Ses disciples les plus assidus le retrouvent plus discrètement dans sa maison de l'Ariège, à une heure de route de Toulouse.

Parmi eux, les frères Fabien et Jean-Michel Clain, dont les voix seront identifiées sur un message audio de revendication des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

Il y a eu aussi Sabri Essid, qui a fait l'objet en France d'une enquête pour "génocide" et "crime contre l'humanité" envers les Yézidis en Irak.

Mohamed Merah et son frère Abdelkader sont également passés par là.

"Les renseignements généraux me disaient qu'Artigat avait la cabine téléphonique la plus surveillée de France", ironise l'ancien maire.

- Un homme discret -

"On essayait de trouver des éléments prouvant qu'il avait donné des contacts ou de l'argent à ces jeunes partis rejoindre un groupe terroriste en Irak", relate Marc Trévidic, alors magistrat anti-terroriste chargé de l'enquête sur la "filière d'Artigat".

"On n'a pas réussi à se mettre grand-chose sous la dent. Et dieu sait si on a cherché!", dit-il.

Mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" en 2007, Olivier Corel bénéficiera d'un non-lieu.

Quand il était interrogé sur la teneur de ses conversations avec les jeunes qu'il côtoyait, Olivier Corel, selon M. Sifaoui, répondait: "Je leur dis que le jihad est légitime puisqu'il figure dans le Coran. Mais je n'ai jamais demandé à quiconque de passer à l'acte".

"On n'envoie pas quelqu'un en prison pour terrorisme avec ça", admet M. Trévidic.

Dix ans après les attentats de Mohamed Merah, qui a tué trois militaires, puis trois enfants et un professeur d'une école juive, "l'émir blanc" se fait discret.

Devant sa maison aux murs crépis, ce frêle septuagénaire vêtu d'un sarouel noir s'est muré dans le silence, refusant de répondre aux questions d'une journaliste de l'AFP.

Un camping-car, un mobil home et un camion de transport de chevaux étaient stationnés au portail.

"Que fait-il de ses journées? De quoi vit-il? Nul ne le sait, souffle M. Cauhapé. Mais une chose est sûre, au village, il n'a jamais embêté personne. C'est un homme sympathique qui entretient des relations cordiales avec tous ses voisins."