22.02.08 - TPIR/RWANDA - LE TPIR TARDE LA DECISION SUR LES TRANSFERTS D'ACCUSES AU RWANDA

La Haye, 22 fevrier 2008 (FH) - Les chambres de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) saisies depuis plusieurs mois, sont toujours en train d’examiner les demandes du procureur de transférer quatre accusés devant la justice rwandaise.

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Leurs décisions seront très importantes pour le devenir de ce tribunal à qui le Conseil de sécurité a ordonné d’avoir fini ses procès en première instance dans dix mois, le 31 décembre 2008. Dix accusés attendent encore d’être jugés. S’ils ne peuvent être transférés, au Rwanda ou devant une autre juridiction nationale, le travail du tribunal devra, au rythme actuel, être prolongé de plusieurs années.

Les chambres désignées en juillet et en octobre dernier pour étudier les demandes de transfert ont été retardées par les différents avis qu’elles ont autorisé. Elles semblent cependant dans l’expectative même si la première décision devrait logiquement entraîner les suivantes.

La première des quatre requêtes de transfert vers les juridictions rwandaises a été déposée le 11 juin 2007 et visait Fulgence Kayishema, un inspecteur de police toujours en fuite. La Chambre III avait été désignée juste un mois après pour traiter l’affaire. Depuis le 2 octobre 2007, le Président du TPIR lui a attribué deux autres affaires, celles d’Ildephonse Hategekimana et de Yussuf Munyakazi. La Chambre I traite l’affaire Gaspard Kanyarukiga depuis la même date. Les trois requêtes, distinctes, avaient été déposées le 7 septembre 2007.

Logiquement la première décision devrait donc concerner Kayishema. Interrogé par la chambre, le gouvernement rwandais a déposé en octobre 2007 un amicus curiae argumentant sur sa capacité à juger les accusés du Tribunal international. Human Rights Watch, une Organisation non-gouvernementale internationale, dans un avis semblable qu’elle avait été autorisée à déposer, a rendu un rapport défavorable au transfert en janvier 2008.

Human Rights Watch (HRW) est active dans le contrôle de l’application des droits de l’Homme dans plus de 75 pays. Elle participe au monitoring du système judiciaire rwandais depuis 2005 et a apporté son aide pour les réformes de fond entre 2002 et 2004. Cette organisation, en collaboration avec la FIDH, a surtout publié une enquête à l’issue du génocide (« Aucun témoin ne doit survivre », édition Karthala, avril 1999) qui a servi de base à l’accusation.

Cette ONG a de nombreuses fois apporté sa contribution au TPIR en tant que témoin de contexte. Cette fois-ci, sur la base de recherches supervisées par Alison Des Forges, elle développe en treize arguments son opposition au transfert de Fulgence Kayishema.

D’après HRW, le Rwanda « a fait des progrès notables en améliorant son système judiciaire » (Rwanda has made notable progress in improving its judicial system). Il a notamment créé de toute pièce un système procédural pour contenter les conditions posées par le TPIR sur la question des transferts. Toutefois selon l’ONG, de « sérieux obstacles à des poursuites équitables et crédibles persistent au Rwanda, spécialement pour les personnes accusées de génocide et autres crimes d’importance politique » (serious obstacles to fair and credible prosecutions remain in Rwanda, especially for persons accused of genocide and other crimes of political importance).

Dans son rapport, Human Rights Watch soulève qu’il « pourrait y avoir des lacunes en droit national » (there may exist a lacuna in domestic law) privant de compétence matériel les juridictions rwandaises pour poursuivre les accusés du génocide de 1994. En effet, la loi organique du 30 août 1996, connue pour être « la loi génocide » (The genocide law), a été abrogée par celle du 19 juin 2004 sur les tribunaux Gacaca. Or cette dernière ne donne pas de définition du crime de génocide.

La loi de 2003 punissant le crime de génocide, les crimes contre l’Humanité et les crimes de guerre, en donne bien une mais elle « n’a pas l’air d’être rétroactive » (does not appear to be retroactive in operation) d’après HRW. Enfin, la loi dite « des transferts » du 16 mars 2007, qui organise les poursuites des accusés du TPIR ou d’autres juridictions étrangères, n’aborde pas la question. Le Rwanda ne pourrait alors plus poursuivre le crime de génocide perpétré en 1994 ?

HRW craint ensuite que les transferts ne violent l’article 20 du Statut du TPIR qui gouverne les droits de l’accusé. Elle dénonce dans ce sens un fossé entre la théorie judiciaire rwandaise et son application. Elle affirme que le « Rwanda ne peut pas garantir » (cannot guarantee) que l’accusé bénéficiera de l’intervention de témoins à décharge dans les mêmes conditions que ceux à charge, que la présomption d’innocence sera préservée et, car les juridictions « restent sujettes à l’influence politique » (remain subject to political influence), qu’il soit jugé par un tribunal indépendant et impartial.

Pour finir, elle considère que « l’enfermement solitaire prolongé » (Prolonged solitary confinement), qu’elle assimile à de la torture ou à un traitement ou une punition cruelle, inhumaine et dégradante, « viole potentiellement la Convention contre la torture et l’article 7 du Pacte international des droit civils et politique » (potentially violates the Convention Against Torture and article 7 of the ICCPR).

Sur la question de la représentation légale des parties que Human Rights Watch prédit difficile à cause des nombreuses menaces proférées contre des avocats et du manque de moyens financiers, Hirondelle s’est adressée à Avocats sans frontières (ASF), ONG belge experte en la matière.

Avocats sans frontières poursuit des programmes d’assistance judiciaire tant pour les accusés que pour les victimes du génocide de 1994 depuis 1996. Elle apporte également un appui institutionnel aux barreaux et assure un financement des avocats pour qu’ils interviennent dans les procès du génocide.

Chantal Van Cutsem responsable du programme Rwanda de ASF, rappelle que « des procès ont déjà lieu pour les accusés de première catégorie depuis de nombreuses années, et les avocats les défendent ». « La justice au Rwanda n’est peut-être pas parfaite mais elle fonctionne ».

Avocats sans frontières part du postulat que les transferts d’accusés du Tribunal international vers le Rwanda vont se faire et prévoit d’assurer un monitoring de ces procès « pour vérifier leur équité ». Ce monitoring s’intégrera à son programme de suivi de la justice classique déjà commencé.

Elle n’envisage pas « une activité exclusive » pour les transférés car les autres procédures ont aussi besoin de soutien et l’ONG craint « une justice à deux niveaux » entre les accusés qui attendent depuis longtemps dans les prisons rwandaises d’être jugés et les transférés du TPIR ou les accusés qui seront extradés depuis d’autres pays.

Les transférés seront jugés selon le droit pénal rwandais dont les avocats suivent déjà des formations notamment organisées par le TPIR au barreau de Kigali.

La loi rwandaise de 2007 sur les transferts n’empêche pas la participation d’avocats étrangers. Ainsi, comme l’a déjà pratiqué ASF par le passé, un travail en binôme entre un avocat rwandais et un avocat expatrié pourra être envisagé pour certains dossiers.

Jusqu’à présent la seule procédure de transfert sur la base de l’article 11 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international, a abouti, vers la France.

AV/PB/GF
© Agence Hirondelle