L'esclavage en Mauritanie : des progrès mais peut mieux faire

L'esclavage en Mauritanie : des progrès mais peut mieux faire©STR/AFP
Libération le 17 mai 2016 du militant anti esclavagisme Biram Ould Dah Ould Abeid (C)
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Depuis le début de l’année 2016, un certain nombre de décisions fait espérer un réel revirement de situation pour les esclaves en Mauritanie – pays avec le taux d’esclavage le plus élevé au monde. Emprisonnés depuis seize mois, deux militants antiesclavagistes Biram Ould Dah Ould Abeid et Brahim Ould Ramdane ont ainsi été libérés le 17 mai sur décision de la Cour Suprême. Il s’agit là d’une décision majeure et réclamée (certes timidement) par la communauté internationale et les organisations de défense des droits humains. Biram Ould Dah Ould Abeid, président de l’Initiative de résurgence pour le mouvement abolitionniste (IRA), lauréat du prix des droits de l’Homme des Nations Unies en 2013, est l’emblème de cette lutte en Mauritanie. Adepte des actions coup de poing, cet historien et juriste est un habitué de la prison, mais sa notoriété internationale rend ses condamnations de plus en plus gênantes pour le pouvoir. Surtout, il fut candidat à la dernière élection présidentielle et d’ores et déjà candidat proclamé à la prochaine élection en 2019. Le but inavoué de sa libération ? Eviter qu’il ne capitalise politiquement sur son incarcération au point de devenir la figure du martyr aux yeux de l’ensemble des Haratines. Le combat est donc loin d’être gagné, le Président pouvant pour les mêmes raisons politiques décider de donner des gages à ses soutiens Baydan.

De façon tout autant symbolique, en mars 2016, le gouvernement est devenu le deuxième pays africain à s’engager contre l’esclavage moderne en ratifiant le Protocole de 2014 relatif à la convention de 1930 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur le travail forcé. La Mauritanie participe donc de ce mouvement mondial engagé contre le travail forcé sous toutes ses formes, y compris la traite des êtres humains.

Plus récemment encore, le 16 mai 2016, la (nouvelle) cour criminelle spécialisée de Néma (Est) a condamné deux personnes à cinq ans de prison et à une amende d’un million d’ouguiyas pour avoir asservi deux femmes. Cette décision cruciale est une première et marque peut-être la fin de l’impunité. D’autant plus que le gouvernement, face à ses engagements internationaux, peut difficilement reculer − le protocole de 2014 de l’OIT contraignant les Etats à prendre des mesures efficaces de prévention et de protection des victimes, en leur garantissant notamment l’accès à la justice et à l’indemnisation.

Un contexte légal favorable

L’arsenal juridique existait bel et bien depuis plusieurs années. Rappelons que l’esclavage est illégal et aboli depuis 1981. Une loi de 2007 est venue réaffirmer cela en incriminant cette pratique. Récemment encore, la loi mauritanienne n°2015-031, durcissant la répression de l’esclavage en la qualifiant de crime contre l’humanité, a mis en place trois cours criminelles spécialisées visant à poursuivre de telles pratiques et à démontrer la fermeté avec laquelle le gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz entend désormais gérer cette épineuse question. Cette fois, les peines de prison peuvent aller jusqu’à vingt ans. Ces efforts ont d’ailleurs été salués par la société civile, sans que cela ne dissipe les doutes quant au risque que cette loi reste lettre morte. Mais c’est bien la création de ces cours qui a permis la première condamnation en mai.

L’esclavage, une question hautement politique

Reste que cet enjeu est loin de se limiter à sa dimension juridique. Selon le rapport annuel de l’ONG australienne Walk Free, l’esclavage frappe 155 600 Mauritaniens, soit 4% de la population. La plupart de ces victimes sont les Haratines − traditionnellement de père en fils et de mère en fille – au service des Maures blancs d’origine arabo-berbère (les Baydan).

L’esclavage est enraciné en Mauritanie et constitue l’un des ressorts de la domination politique et sociétale de la communauté Baydan, à laquelle appartient le Président et dont son pouvoir est largement tributaire. Les Baydan jouissent de relais conservateurs dans tous les secteurs de la société mauritanienne, de l’administration à la sphère religieuse (alors que l’Islam condamne l’esclavage), maintenant ainsi une pression pour empêcher tout débat public autour de cette question. Récemment encore, le Président mauritanien réitérait publiquement : « Tout le monde sait que ceux qui parlent de l’existence de l’esclavage en Mauritanie ne disent pas la vérité. »[3] Tout laisse à penser que ce dernier est tiraillé entre ses engagements internationaux et le souci de ne pas heurter la sensibilité de ses soutiens Baydan.

Motivées politiquement ou non, ces décisions sont autant de victoires à mettre à l’actif de l’inlassable engagement de l’IRA et de l’ensemble des organisations de défense des droits humains qui interpellent le pouvoir mauritanien sur la persistance de pratiques d’un autre temps. Gageons que la pression ne se relâche pas afin que la défense des droits humains l’emporte sur les stratégies politiques.

 

 

 

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