Un chef rebelle tchadien arrêté en France dans une enquête pour crimes contre l'humanité

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Une enquête menée discrètement en France sur des crimes contre l'humanité au Tchad et au Soudan a débouché sur l'arrestation d'un important chef rebelle tchadien, le général Mahamat Nouri, et de deux autres protagonistes soupçonnés d'être liés à des exactions, entre 2005 et 2010, pendant la crise au Tchad et au Darfour.

Les interpellations ont été menées lundi matin par les enquêteurs de l'office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), dans le Val-de-Marne, en Mayenne et en Indre-et-Loire, a indiqué le parquet de Paris.

L'opération ciblait en particulier le général Mahamat Nouri, arrêté lundi matin à son domicile du Val-de-Marne dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte par le parquet le 10 mai 2017 pour crimes contre l'humanité, complicité de ces crimes, et association de malfaiteurs criminelle.

Les deux autres suspects arrêtés au même moment sont également natifs du Tchad, selon une source proche de l'enquête. Leur garde à vue peut durer 96 heures.

Considéré comme l'un des plus influents chefs rebelles tchadiens, le général Nouri est un proche d'Hissène Habré, renversé en 1990 par Idriss Déby Itno, l'actuel président.

Ministre de la Défense de 2001 à 2003 puis ambassadeur en Arabie saoudite, le général est entré en rébellion en mai 2006. A l'époque, il s'installe au Soudan, avec son groupe rebelle, l'UFDD (Union des forces pour la démocratie et le développement). En novembre 2006, il lance une offensive, avec d'autres rebelles tchadiens dans l'est du Tchad, non loin de la frontière avec le Soudan, avant d'être repoussé par l'armée.

Plus tard, il prendra la tête d'autres rébellions au sein de l'Alliance nationale (AN) qui mène en février 2008 depuis le Soudan une offensive sur N'Djamena, la plus importante contre le régime du président Déby depuis son accession au pouvoir en décembre 1990.

Ils ont été tout près de renverser le régime de Déby, retranché dans son palais, avant d'être chassés par l'armée tchadienne au terme de violents affrontements.

Paris avait à l'époque apporté un soutien décisif à l'armée, mais démenti toute participation directe aux combats.

En 2008, le général est condamné à mort au Tchad. Expulsé du Soudan en 2010, il s'exile un an au Qatar avant de se réfugier en France.

En janvier 2017, Paris a gelé ses avoirs pour six mois, ainsi que ceux d'un autre rebelle tchadien, Mahamat Mahadi Ali.

Parmi les deux autres personnes interpellées figure l'opposant Abakar Tollimi, selon une source proche du dossier.

- "Une première" -

Le pôle crimes contre l'humanité et crimes de guerre du tribunal de Paris s'était saisi du dossier tchadien en vertu d'une compétence universelle qui l'autorise à poursuivre des suspects s'ils sont sur le territoire français.

A fin mars, il traitait 146 dossiers sur une vingtaine de zones dont la Centrafrique, la Côte d'Ivoire, l'Afghanistan, la Libye, ainsi que la Syrie et l'Irak, plus gros pourvoyeurs de dossiers après ceux liés au génocide rwandais.

L'est du Tchad et la région voisine soudanaise du Darfour nord étaient à l'époque des faits le théâtre de violences intercommunautaires, d'attaques de milices et de résurgences de la crise politique.

"Nous nous félicitons d'une telle arrestation, une première pour les crimes commis au Soudan et Darfour, d'autant plus que l'impunité a prévalu et continue de prévaloir pour ces crimes, comme on a pu le voir avec le président soudanais déchu Omar Béchir qui a échappé aux poursuites de la Cour pénale internationale et qui n'est pas poursuivi par la justice soudanaise", a réagi l'avocat Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme).

La FIDH et l'ONG Humans Right Watch, notamment, avaient dénoncé en 2008 les exactions perpétrés au Tchad en marge de l'attaque du palais présidentiel ainsi que les violations des droits de l'homme par les milices dans l'est du pays et de l'autre côté de la frontière, au Darfour, dans lesquelles Nouri serait impliqué.

Selon un rapport de Human Rights Watch, "le conflit politique interne et la pénétration du conflit du Darfour dans la vie des communautés de l'est du Tchad" ont été les pivots de la crise tchadienne.

Dans un communiqué, l'association La Convention Tchadienne de Défense des Droits de l'Homme s'est pour sa part dite "profondément atterrée par la vague d'arrestations injustifiées et arbitrairee opérées par les autorités françaises dans le milieu de l'opposition en exil".

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