Dossier spécial « CPI cherche procureur désespérément »

Election du procureur de la CPI : en décembre, "potentiellement aucun candidat ne sera désigné"

A quatre semaines de l'Assemblée des États parties (AEP) à la Cour pénale internationale, aucun accord n'a été trouvé sur un candidat à la succession de Fatou Bensouda en tant que procureur. Hier 15 novembre, le secrétariat de l’AEP a annoncé sa décision de retourner à la liste des (14) candidats initiaux. Dans une interview avec Patryk Labuda, Justice Info revient sur les raisons de cette impasse politique sans précédent. Visiting Fellow au Centre de droit international d'Amsterdam, il a co-organisé au début de l'année un symposium en ligne sur l'élection du prochain procureur.

Election du procureur de la CPI : en décembre,
Il est de plus en plus probable que le nouveau procureur de la CPI ne soit pas désigné début décembre. © Sia Kambou / Ebrahim Hamid / AFP / JusticeInfo.net
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JUSTICE INFO : La situation semble plus que critique : les États parties à la Cour pénale internationale (CPI) n’apparaissent pas en mesure de nommer le nouveau procureur, comme prévu en décembre. Fin juin, un comité de sélection avait pourtant choisi quatre candidats pour le poste, dont aucun n'a fait consensus. Comment en est-on arrivé là ?

PATRYK LABUDA : L'idée était que les États désignent un candidat pour être le prochain procureur avant le 22 octobre, mais nous avons récemment appris que la période de nomination a été prolongée jusqu'au 22 novembre. Hier, nous avons appris que l'ensemble du processus électoral a été remis en mouvement par une décision de l'Assemblée d'élargir la liste des candidats. Il s'agit là d'un développement majeur et il est difficile de savoir ce qui va se passer. Au départ, on s'attendait à ce qu'un des quatre candidats présélectionnés soit nommé, mais nous savons maintenant qu'en coulisses, il y a eu une lutte entre d’une part les États qui veulent nommer un de ces quatre candidats et d’autre part les États qui voulaient ouvrir le processus de sélection et inclure des personnes qui figuraient sur une longue liste initiale de 14 candidats. Nous savons maintenant que le deuxième groupe d'États l'a emporté.

Il paraît de plus en plus probable qu'aucun candidat ne sera potentiellement désigné lors de l'Assemblée des États parties (AEP) début décembre. Dans l'idéal, les États voulaient élire le procureur par consensus. De plus en plus, il semble que cela ne soit pas possible. Ce serait la première fois dans l'histoire de la CPI que les États ne sont pas en mesure d’y parvenir, dans un délai qu'ils se sont eux-mêmes imposé. La procureure Fatou Bensouda doit se retirer en juin 2021 et normalement, les États désignent un successeur lors de la réunion annuelle de l'AEP de l'année précédente. Pour la première fois, il semble qu'aucun candidat ne sera désigné et nous devrons attendre plus longtemps pour une décision finale sur le prochain procureur.

Il y a un an, lorsque tout le processus de sélection a été mis en place, un comité sur l'élection du procureur a été créé pour éviter les querelles politiques entre les États. Malheureusement, cela n'a pas fonctionné. Au contraire, il semble que ce nouveau processus de sélection ait rendu les choses encore plus compliquées. Je pense que, paradoxalement, ce qui a pu se passer, c'est qu'en mettant en place un processus plus formalisé, les États ont politisé encore plus l'élection.

Les deux premiers procureurs de la CPI, l'Argentin Luis Moreno Ocampo et la Gambienne Fatou Bensouda, n'ont pas réussi, pour différentes raisons, à se faire pleinement respecter sur la scène internationale. L'enjeu de l'élection du troisième procureur n'est-il pas particulièrement important cette année pour l'avenir de la CPI ?

L'enjeu est important pour cette élection. Le choix du prochain procureur déterminera l'avenir de la Cour, et je ne pense pas qu'il soit alarmiste de suggérer que l'avenir de la Cour est en jeu. Comme nous le savons, les États-Unis ont mené une campagne de déstabilisation sans précédent du bureau du procureur, et la question se pose de façon aigüe de savoir si le prochain procureur succombera à ce genre de pression politique. Je pense que les États craignent que si la mauvaise personne remplace Fatou Bensouda, le tribunal et surtout le bureau du procureur ne perdent leur pertinence ou pire encore.

Cela pourrait expliquer pourquoi l'élection est devenue si politisée. Ajoutez à cela le fait que la liste restreinte qui a été produite par la commission n'a pas répondu aux attentes de tout le monde. Tout d'abord, de nombreux États estiment que, parmi les quatre, le candidat irlandais a été injustement avantagé, pour diverses raisons – dont le "principe de rotation" dans les institutions internationales, qui fait que les deux candidats africains ne sont pas sérieusement pris en considération par les États cette fois-ci. Ce serait un "faux pas" diplomatique que de choisir un Africain après l'actuel procureur. Ainsi, certains États estimaient qu'il ne leur a pas vraiment été offert de choix. En même temps, certains États sont mécontents du fait que des personnes qui semblent figurer sur la "longue liste" qui sera bientôt rendue publique n'ont pas été retenues - comme le Belge Serge Brammertz, l'actuel procureur du mécanisme des tribunaux pénaux internationaux, ou le Britannique Karim Khan, avocat à la tête du mécanisme irakien, tous deux considérés comme des favoris et comme des praticiens très compétents et très expérimentés. À cet égard, la deuxième objection des États semble être que les mauvaises personnes avaient été présélectionnées.

Ensuite, il y a certaines faiblesses perçues des premier et deuxième procureurs que les États veulent sans doute éviter. Les États ne voudraient pas choisir un mauvais diplomate. Luis Moreno Ocampo était considéré comme un procureur excessivement ‘bavard’. Certains États préféreraient certainement un procureur plus habile à gérer les enquêtes et à bien faire cette partie du travail plutôt que de se concentrer sur la dimension publique. Le prochain procureur doit pouvoir peser sur le plan politique, doit savoir se faire respecter et être capable de négocier avec de puissants acteurs étatiques. En ce qui concerne Fatou Bensouda, la qualité des enquêtes est une préoccupation majeure qu'elle n'a pas pu dissiper au cours de son mandat. Sous sa direction de nombreux dossiers se sont effondrés.

Les États seront attentifs à la capacité du prochain procureur à recueillir des preuves qui résistent à l'examen d'un tribunal. Celui qui sera choisi devra non seulement être un bon diplomate, mais aussi être capable de gérer une équipe d'enquêteurs capables de monter un dossier solide qui puisse aboutir à des condamnations. Trop de procès se sont effondrés ces dernières années – contre le président kenyan, contre l'ancien vice-président de la République démocratique du Congo et, plus récemment, contre l'ancien président de la Côte d'Ivoire. Les États veulent s'assurer que la personne choisie soit en mesure de bâtir des dossiers qui ne s’écroulent pas au procès. Je pense que ces candidats existent, mais comme nous le savons, il y a d'autres raisons pour lesquelles cette élection est si controversée...

Faites-vous référence aux soupçons de #MeToo signalés par un certain nombre d'ONG, dont Open Society Justice Initiative encore la semaine dernière, dans une lettre alertant sur de "Graves préoccupations concernant l'élection du procureur de la CPI et le besoin urgent d'un contrôle" ?

Ce que nous savons, c'est que la moralité des candidats a joué un rôle majeur dans le processus de sélection. Le procureur doit être "une personne de haute moralité", selon l'article 42 du Statut de Rome. Et dès le début, les ONG ont fait pression pour intégrer une forme de contrôle qui permettrait aux États de vérifier si les candidats ne sont pas impliqués dans des abus sexuels. Depuis le début, on soupçonne qu'il y a des inquiétudes concernant des personnes qui se présentent à ce poste, bien qu'il soit important de noter qu'aucune allégation contre des personnes spécifiques n'a été faite publiquement.

Après la décision d'hier d'élargir le réservoir de candidats, la question qui se pose est la suivante : si les États ne veulent choisir l'un des quatre candidats de la liste restreinte et que, dans le même temps, ils ne peuvent pas choisir les personnes soupçonnées d’être impliquées dans des abus de nature sexuelle, y a-t-il un moyen de sortir de cette impasse ? Seuls les États impliqués dans le processus de sélection peuvent nous dire avec certitude ce qui les empêche de choisir un candidat, mais il existe certainement une perception parmi les observateurs de la Cour, qui sont extérieurs au processus, comme moi-même, que cette question de "moralité" pose cette fois-ci des problèmes beaucoup plus importants que lors de la précédente élection. Il semble évident que cette question influence l'élection. Je pense que nous sommes dans une sorte d'impasse, non seulement en raison de ce qui se passe en coulisse entre les États, mais aussi parce que le processus de sélection mis en place l'an dernier n'a pas reçu d'autorité formelle pour résoudre ces questions. Le comité chargé de l'élection du procureur n'avait pas le mandat de se prononcer sur la validité des allégations d'inconduite sexuelle. S'il n'existe pas de processus pour garantir qu'elles sont traitées de manière satisfaisante, il s'agit d'un véritable « piège » pour les États, qui ne peuvent pas non plus ignorer ces allégations.