Un mandat d'arrêt visant Assad annulé en France mais d'autres pourraient suivre

La justice française a estimé vendredi qu'aucune exception ne pouvait être faite à l'immunité d'un chef d'Etat en exercice, annulant un mandat d'arrêt émis en 2023 contre l'ex-président syrien Bachar al-Assad pour des attaques chimiques meurtrières, sans toutefois en exclure un nouveau.

Après avoir "longuement délibéré", la Cour de cassation "relève que la coutume internationale ne reconnaît pas en l'état d'exception à l'immunité du chef d'Etat en exercice lorsqu'il est soupçonné d'avoir commis des crimes internationaux tels des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre", a déclaré vendredi son président, Christophe Soulard, lors d'une audience publique diffusée de manière inédite en direct sur internet.

La plus haute juridiction française, qui était réunie en assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, "annule" donc le mandat d'arrêt.

Cette immunité personnelle dont bénéficient les chefs d'Etat étrangers au nom de la souveraineté des Etats n'équivaut pas à une impunité et reste temporaire, a rappelé le haut magistrat.

- Un autre mandat d'arrêt -

Ainsi, depuis que Bachar al-Assad a été renversé en décembre 2024 et n'est plus président, "de nouveaux mandats d'arrêt ont pu ou pourront être délivrés à son encontre pour des faits susceptibles de constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité", et ce même s'ils ont été commis quand il était à la tête du pays, a développé M. Soulard. L'information judiciaire visant Bachar al-Assad peut donc se poursuivre.

Dans un dossier distinct, l'ancien homme fort de Damas, aujourd'hui réfugié en Russie, est visé depuis janvier 2025 par un autre mandat d'arrêt délivré par deux juges d'instruction parisiennes, pour complicité de crime de guerre dans le bombardement d'une zone d'habitations civiles imputé au régime à Deraa (sud-ouest) en 2017.

La Cour de cassation n'a pas suivi la position du procureur général Rémy Heitz qui avait proposé lors de l'audience le 4 juillet de maintenir le mandat d'arrêt contre Bachar al-Assad en écartant l'immunité personnelle dont il bénéficiait au motif que la France ne le considérait plus depuis 2012 comme le "chef d'Etat légitime en exercice" eu égard aux "crimes de masse commis par le pouvoir syrien".

Depuis 2021, deux juges d'instruction parisiens enquêtent sur la chaîne de commandement des attaques chimiques imputées au pouvoir syrien qui ont fait plus d'un millier de morts en 2013. Ils avaient émis, en 2023, un mandat d'arrêt pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre contre Bachar al-Assad.

Ce mandat d'arrêt était contesté par le parquet national antiterroriste (Pnat), soutenu par le parquet général de la cour d'appel de Paris, au nom de l'immunité absolue dont jouissent les chefs d'Etat en exercice devant les tribunaux de pays étrangers.

Mais la cour d'appel avait validé ce mandat en juin 2024, estimant que ces crimes "ne peuvent être considérés comme faisant partie des fonctions officielles d'un chef de l'Etat".

- "Occasion manquée" -

En revanche, la Cour de cassation a reconnu pour la première fois une exception à l'immunité fonctionnelle dont bénéficient les agents d'Etats étrangers, de même que les anciens chefs d'Etat, s'ils sont poursuivis pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Bachar al-Assad, qui ne bénéficie plus de l'immunité personnelle depuis qu'il a été renversé et a fui en Russie, aurait pu se prévaloir de cette immunité fonctionnelle.

"La Cour de cassation a enfin reconnu que l'immunité fonctionnelle ne peut plus faire obstacle à la poursuite des crimes internationaux, revenant sur 25 années de jurisprudence conservatrice: c'est une avancée considérable", se sont réjouis les avocats d'ONG parties civiles Clémence Witt, Jeanne Sulzer et Paul Mathonnet.

Concernant l'annulation du mandat d'arrêt contre l'ex-dictateur syrien, "bien que la Cour reconnaisse qu'un nouveau mandat d'arrêt pourra être ré-émis contre Bachar el-Assad, c'est une occasion manquée s'agissant de l'immunité personnelle du chef de l'État en exercice", ont-ils ajouté. "La Cour fait prévaloir la prétendue sécurité des relations internationales sur la lutte contre l'impunité", selon eux.

Cette décision "laisse la porte ouverte à la poursuite d'Assad", a estimé Mariana Pena de l'Open Society Justice Initiative (OSJI), constatant que "les tribunaux sont de plus en plus ouverts à l'idée de reconnaître des exceptions aux immunités".

Pour Mazen Darwish, président du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM), partie civile, au contraire, cette décision "trahit non seulement les victimes syriennes, mais représente aussi un grave recul pour le principe de responsabilité face aux crimes les plus graves", a-t-il dit à l'AFP.

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