Rwanda-RDC : la paix sans la justice

Les États-Unis ont négocié un accord de paix entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Mais cet accord privilégie l'accès des Américains aux minerais du Congo, au détriment du bien-être des citoyens congolais, met en garde la chercheuse Evelyn Namakula Mayanja. Et il sacrifie la justice.

Le président des États-Unis Donald Trump a joué un rôle clé dans l'accord de paix signé entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda. Photo : Trump, entouré des ministres des affaires étrangères du Rwanda et de RDC, est assis à son bureau et exhibe une lettre de félicitations adressée au président Rwandais Paul Kagame.
Le président américain Donald Trump tient une lettre adressée au président rwandais Paul Kagame le félicitant pour l'accord de paix conclu avec la République démocratique du Congo (RDC), lors d'une réunion avec la ministre des Affaires étrangères de la RDC (à droite) et le ministre des Affaires étrangères du Rwanda (2e à gauche), dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, le 27 juin 2025. Photo : © Andrew Caballero Reynolds / AFP
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En mars 2025, Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo (RDC) a offert les réserves minérales stratégiques du pays aux États-Unis et à l’Europe en échange de sécurité et de stabilité. À l’époque, le groupe armé rebelle du 23 mars (M23) semait la violence, tuant des civils, commettant des violences sexuelles, déplaçant les communautés et pillant les ressources minérales. Depuis 1996, l’Est du Congo est en proie à des guerres et conflits armés alimentés par les puissances régionales et plus de 120 groupes armés.

L’accord de paix conclu entre le Rwanda et la RDC sous l’égide des États-Unis soulève des questions cruciales : s’agit-il d’une voie sincère vers une paix durable ou de la poursuite de la stratégie du président américain Donald Trump visant à garantir l’accès à des minerais essentiels par le biais d’une diplomatie coercitive ?

La transition mondiale vers les énergies renouvelables, les infrastructures numériques et la modernisation militaire a déclenché une course géopolitique aux minerais stratégiques et aux terres rares. Début 2025, Trump a signé une série de décrets présidentiels introduisant des tactiques agressives et impérialistes pour garantir l’accès aux richesses minérales. Il a menacé le Canada d’annexion et de droits de douane, exigé l’accès aux ressources du Groenland et lié le soutien des États-Unis à l’Ukraine à l’accès à ses réserves minérales. L’offre en RDC doit être vue à travers le prisme de cette concurrence mondiale pour les ressources.

Les intérêts américains en RDC

La RDC possède certains des gisements de minéraux et de métaux stratégiques les plus riches au monde. Un article publié en 2012 estimait la valeur des richesses minérales inexploitées de la RDC à 24.000 milliards de dollars, un chiffre proche du PIB des États-Unis au premier trimestre 2025, qui s’élevait à 29.962 milliards de dollars. La RDC produit 70% du cobalt mondial, se classe au quatrième rang mondial pour le cuivre, au sixième rang mondial pour les diamants industriels et possède également de vastes réserves de nickel et de lithium, dont le gisement de Manono, qui devrait produire 95.170 tonnes de lithium brut. Mais la lutte pour le contrôle de ces ressources a alimenté un cycle de violence armée, de déplacements et d’exploitation des populations. Malgré plusieurs accords de paix, la paix et la stabilité continuent de se dérober.

L’implication des États-Unis au Congo remonte à la guerre froide, quand ils ont joué un rôle dans l’assassinat, en 1961, de Patrice Lumumba, le premier chef de gouvernement élu du Congo, qui aspirait à la souveraineté économique. En 1996, les États-Unis ont été accusés d’avoir soutenu le Rwanda et l’Ouganda lors de la première invasion de l’Est du Congo. Un diplomate américain, « M. Hankins », a été cité à Goma en train de dire : « Je suis ici (...) pour représenter les intérêts américains. » En 2024, le président Joe Biden a rencontré Tshisekedi pour promouvoir le corridor de Lobito, une route commerciale stratégique visant à contrer la domination chinoise dans la région. Les entreprises chinoises contrôlent actuellement environ 80% du marché du cuivre au Congo. Lorsque Trump a signé l’accord de paix de 2025, il a ouvertement déclaré que les États-Unis obtiendraient « de nombreux droits miniers (...), des échanges commerciaux et des investissements étrangers provenant des chaînes d’approvisionnement régionales de minerais essentiels ».

Cet accord donne en réalité la priorité à l’accès des États-Unis aux minerais plutôt qu’au bien-être des citoyens congolais. Historiquement, les richesses minérales du Congo ont enrichi les élites et les puissances étrangères, laissant la population vulnérable et appauvrie. Le nouvel accord pourrait renforcer les inégalités existantes et exacerber les tensions.

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Les lacunes de l’accord de paix négocié par les États-Unis

Les États-Unis ont également suspendu leur aide aux rescapés de guerre, dont les kits médicaux d’urgence et les antirétroviraux pour les victimes de viol, sapant ainsi les efforts humanitaires. L’accord néglige notamment :

- Les causes et facteurs profonds du conflit aux niveaux national, régional et international.

- Le rôle du Rwanda et de l’Ouganda, dont les armées et les services de renseignement sont depuis longtemps impliqués dans le soutien de groupes comme le M23. Le général Muhoozi Kainerugaba, fils du président ougandais Yoweri Museveni, a parlé de « nos frères » du M23 et a menacé d’intervenir militairement au Congo.

- La voix de la société civile congolaise, des rescapés de guerre et de la population, qui ont été exclus du processus de négociation.

- La fragilité de l’État et l’effondrement des institutions, principaux facteurs de la persistance de la violence.

- Les griefs des communautés hutue et tutsie en RDC, profondément enracinés dans la politique coloniale et régionale.

- La présence de plus de 120 groupes armés, dont beaucoup agissent pour le compte de puissances étrangères qui pratiquent ce que certains chercheurs appellent la « géocriminalité ».

Rien qu’entre janvier et février 2025, plus de 7.000 personnes ont été tuées en RDC. Les Nations unies et plusieurs organisations de défense des droits humains ont documenté des atrocités de masse, y compris des crimes d’ampleur génocidaire.

L’agression récompensée, la justice sacrifiée

L’accord de paix évite de réclamer justice pour les crimes commis contre le peuple congolais. Le lauréat du prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, a condamné cet accord qui « récompense l’agression, légitime le pillage des ressources naturelles du Congo et sacrifie la justice au profit d’une paix fragile ». Il ignore également le rôle des compagnies minières internationales et des organismes extérieurs qui profitent depuis longtemps de l’instabilité du Congo.

Une paix réelle et durable en RDC ne peut pas être imposée de l’extérieur. Sans justice, l’extraction minière par les États-Unis risque d’aggraver la crise. Depuis 1999, des casques bleus de l’Onu sont déployés en RDC, mais les violences ne cessent pas. Une paix durable nécessitera :

- la fin de l’impunité ;

- des enquêtes approfondies sur les crimes de guerre ;

- des processus régionaux de recherche de la vérité ;

- la justice et des réparations pour les victimes ;

- et surtout, la prise en compte de la voix des Congolais pour construire leur avenir.

Sans de tels engagements, les États-Unis risquent de reproduire une longue histoire d’exploitation, en faisant le commerce des minerais tout en ignorant son coût humain.The Conversation


Cet article, légèrement modifié et traduit en français par Justice Info, est republié à partir de The Conversation France sous licence Creative Commons. Lire l’article original.The Conversation

Evelyn Nakamula MayanjaEVELYN NAKAMULA MAYANJA

Evelyn Namakula Mayanja enseigne à l'Institut d'études interdisciplinaires de l'Université Carleton. Ses cours traitent de la répression politique et des droits humains. Ses recherches portent sur l'extraction des ressources naturelles, la paix, la sécurité et le développement en Afrique.

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