Riek Machar, chef rebelle versatile et vétéran des guerres sud-soudanaises

Ex-vice-président du Soudan du Sud et frère ennemi du président Salva Kiir, Riek Machar, inculpé pour "crimes contre l'humanité", est un leader rebelle historique, dont les retournements d'alliances ont façonné l'histoire sanglante du pays.

Son sourire marqué des dents du bonheur et son éloquence ont un temps séduit nombre de responsables de la communauté internationale. Mais sa versatilité a aussi nourri les heures les plus sombres de la courte histoire du Soudan du Sud.

M. Machar, arrêté fin mars et placé depuis lors en résidence surveillée, est inculpé depuis le 11 septembre pour "crimes contre l'humanité", pour avoir coordonné une attaque meurtrière contre l'armée sud-soudanaise à Nasir, dans le nord-est du pays. Des accusations "montées de toutes pièces", selon ses proches.

L'ancien vice-président, qui a comparu lundi devant la justice à Juba, a été destitué de cette charge le jour de son inculpation.

Né en 1953 dans l'État pétrolifère de l'Unité, Riek Machar est le fils d'un chef de la communauté nuer, la deuxième plus importante du pays. Il ne porte toutefois pas la scarification sur le front qui marque le passage à l'âge adulte dans son ethnie largement pastorale car il fréquente les bancs d'école.

Titulaire d'un diplôme d'ingénieur à Khartoum et d'un doctorat de l'université britannique de Bradford, ce qui lui vaut une réputation d'éloquence, il prend les armes en 1983 quand éclate la seconde guerre civile opposant le Nord et le Sud du Soudan.

Il rejoint, suivi par de nombreux Nuer, les rangs de la rébellion de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), jusqu'alors essentiellement constituée de Dinka, l'ethnie majoritaire dans le sud du Soudan.

- "Boucher" -

Mais il s'oppose à son chef, John Garang, et à ses proches, dont Salva Kiir, et tente un putsch - manqué - en 1991.

La rébellion se divise alors sur des lignes ethniques. Riek Machar est accusé d'avoir ordonné cette année-là le massacre par ses troupes de milliers de Dinka à Bor, ce qui déclenchera un cycle de violences intercommunautaires.

"Riek Machar est un boucher, un tortionnaire", jugeait en juin un diplomate occidental basé à Juba, qui voyait en lui "un caillou dans la chaussure sud-soudanaise", empêchant le pays d'avancer du fait de sa seule présence.

Après le massacre de Bor, Riek Machar crée un groupe rival, qui s'allie un temps aux troupes du nord du Soudan... contre la SPLA, qu'il réintègre finalement au début des années 2000.

Quand un accord de paix est signé entre Khartoum et les rebelles sudistes en 2005, Machar est nommé vice-président de la région autonome du Sud-Soudan. Un poste qu'il gardera en juillet 2011 à l'indépendance de Soudan du Sud, derrière Salva Kiir, président.

Leur rivalité ressurgit toutefois quand Riek Machar manifeste son intention de se présenter à l'élection présidentielle de 2015. Limogé en 2013, Riek Machar dénonce l'attitude "dictatoriale" du président. Le gouvernement affirme, lui, avoir déjoué une tentative de coup d'État.

L'escalade mènera à une guerre civile, émaillée de nouveaux massacres. Comme celui de décembre 2013, qui vit des centaines de Nuer tués par des Dinka à Juba, avec l'assentiment "de nombreux acteurs de l'armée et des cercles du gouvernement", pointe alors un rapport de l'Union africaine.

- "Victime" -

"Dr Riek n'est pas un ange. Il est le problème fondamental du Soudan du Sud, tout comme Salva Kiir", observe Wani Michael, un ex-leader de la jeunesse sud-soudanaise, désormais en exil. "Chaque communauté de ce pays a des blessures non guéries."

En 2016, M. Machar reprend pour trois mois la vice-présidence d'un gouvernement d'union à la faveur d'une courte pause dans les hostilités. Mais les affrontements reprennent en juillet 2016 et Riek Machar fuit Juba à pied, pour s'exiler en République démocratique du Congo (RDC) voisine.

Il ne reviendra au Soudan du Sud qu'en 2018 après un nouvel accord de paix, dit "revitalisé", qui prévoit un partage du pouvoir avec Salva Kiir. En février 2020, il redevient vice-président, pour la troisième fois.

Cette nouvelle, fragile, cohabitation tient cinq ans, jusqu'à l'attaque de Nasir en mars dernier.

D'après plusieurs analystes interrogés par l'AFP, l'arrestation de Riek Machar relève d'un plan du régime pour se débarrasser de lui alors que point la succession de Salva Kiir, à la santé vacillante.

Mais le pouvoir sud-soudanais est allé trop loin en l'accusant de "crimes contre l'humanité", car il fait de lui "une victime", affirme à l'AFP Michael Wani.

"Il n'est pas un petit politicien, mais une institution politique", poursuit l'ex-leader de la jeunesse. Sa condamnation causerait "un bain de sang", car beaucoup de ses supporters "prendront le maquis", dit-il.

Lundi dernier, ses soutiens ont de fait appelé à la mobilisation militaire afin de renverser le pouvoir.

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