Des organisations congolaises de défense des droits humains ont demandé lundi à la cour d'assises de Paris, qui juge l'ex-rebelle Roger Lumbala, de mettre fin à l'"impunité" dont bénéficient les auteurs d'atrocités dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
L'accusé de 67 ans, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, a décidé dès l'ouverture des débats le 12 novembre de ne plus assister à son procès pour complicité de crimes contre l'humanité qu'il aurait laissé ses troupes commettre dans le Haut-Uélé et en Ituri (est) en 2002 et 2003.
Observant depuis une grève de la faim selon son avocate Marie Dosé, il dénie depuis sa cellule parisienne toute légitimité à la justice française qui le poursuit au titre de sa compétence universelle pour ce type de crimes.
Pour les ONG parties civiles, ce procès est au contraire une occasion inédite d'obtenir justice pour des victimes de ce que le Prix Nobel de la Paix 2018, Denis Mukwege, décrit comme le "conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale", dans son ouvrage "La Force des femmes".
C'est une "lueur d'espoir" au moment où "on ne voit pas d'intention claire" en RDC "de poursuivre, non seulement Roger Lumbala, mais les auteurs de crimes graves", souligne à la barre Serge Ngabu Kilo, de la Ligue congolaise pour la paix, les droits de l'homme et la justice (LIPADHOJ).
L'est de la RDC est en proie depuis près de trente ans à des guerres menées par de nombreuses factions notamment pour le contrôle de ses ressources naturelles et minières. Elles ont fait, directement et indirectement (maladies, malnutrition etc), des millions de morts et de déplacés.
Viols, exécutions sommaires, tortures, mutilations, travail forcé, pillages, les exactions examinées à Paris font partie des crimes entre 1993 et 2003 qui ont été recensés dans le rapport Mapping de l'ONU (2010).
Elles ont été commises lors de l'offensive "Effacer le tableau", menée contre une faction rivale pro-gouvernementale, par le groupe de Roger Lumbala, le RCD-N, et son allié du MLC, soutenus par l'Ouganda voisin.
- "Mode de gouvernance" -
Depuis Mapping, "cela fait quinze ans que personne n'a été jugé" en RDC, dit à la barre Dickson Dikangu Kaleka, du Club des amis du droit du Congo. "C'est la première fois que des crimes (...) sont jugés", ajoute cet avocat.
"Nous sommes face à des personnes qui ont décidé d'ériger l'impunité en mode de vie, en mode de gouvernance", poursuit-il. "Nous ne disons pas" que ce procès marquera "la fin de l'impunité, mais ce sera un début de l'engagement" de la communauté internationale à "lutter contre ces crimes".
"L'arrestation de (Roger) Lumbala" en décembre 2020 en France, c'était pour les victimes, "un signal fort par rapport à la lutte contre l'impunité", renchérit Xavier Macky Kisembo, directeur exécutif de l'ONG Justice Plus, installée à Bunia, chef-lieu de l'Ituri.
Ce procès est "pédagogique", de nature à "dissuader d'autres éventuels bourreaux de commettre de tels crimes" alors que les combats de poursuivent, estime M. Macky Kisembo, dont l'organisation a recueilli les témoignages de victimes.
Au premier jour du procès, les avocats de Roger Lumbala avaient estimé que ces témoignages étaient "sujets à caution" et devaient "être examinés avec la plus grande circonspection".
Les organisations venues témoigner lundi ont toutes démenti avoir "recruté", rémunéré les plaignants, ou orienté ces témoignages, qui sont cruciaux pour le dossier puisque les autorités françaises n'ont pu mener aucun acte d'enquête en RDC.
"Chaque jour, on tue au Congo. Ce sont des faits réels. En 2002 et 2003, il y a eu des tueries en Ituri, ce sont des faits réels", s'offusque M. Dikangu Kaleka.
La cour d'assises de Paris a sursis à statuer sur sa compétence, c'est-à-dire qu'elle décidera au terme des débats, le 19 décembre, jour prévu pour le verdict, si les conditions de la compétence universelle sont bien remplies.

