Des investigations effectuées à distance pour des raisons de sécurité, des témoins victimes de pressions, et maintenant un box des accusés vide: la cour d'assises de Paris doit composer avec de nombreuses difficultés pour juger l'ex-rebelle congolais Roger Lumbala pour complicités de crimes contre l'humanité.
C'est le premier procès en France pour des crimes commis en République démocratique du Congo (RDC). Il se tient en vertu de la compétence universelle de la justice française, qui lui permet de juger ce type de crimes, même commis dans un autre pays, à condition notamment que les auteurs présumés aient leur résidence en France et que des poursuites sur les mêmes faits n'aient pas été engagées par une autre juridiction, nationale ou internationale.
Roger Lumbala, 67 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour ces faits remontant à 2002-2003, quand il dirigeait le RCD-N (Rassemblement congolais pour la Démocratie-National) dont les troupes s'étaient livrées à de nombreuses exactions en Ituri et dans le Haut-Uélé, dans le nord-est de la RDC, lors d'une offensive baptisée "Effacer le tableau".
Mais l'accusé, détenu depuis son interpellation en décembre 2020 à Paris, a décidé dès l'ouverture du procès le 12 novembre de ne pas assister aux débats, contestant la compétence de la justice française, et a récusé ses avocats.
"Quand il n'y a pas d'accusé, quand il n'y a pas de défense, on est quand même un peu bancal", a lâché la semaine dernière, dépité, le président de la cour d'assises Marc Sommerer.
La cour a sursis à statuer sur cette question de compétence, le temps d'entendre notamment les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité (OCLCH).
Entendu mercredi et jeudi, le directeur d'enquête est revenu sur le déroulement des investigations, débutées en France en 2016, après un signalement effectué par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) concernant Roger Lumbala, qui demandait l'asile en France.
- Enquête "longue" et "complexe" -
"Cette enquête a été longue, exigeante et complexe", souligne-t-il à la barre. D'autant que les demandes d'entraide pénale internationale adressées à la RDC pour procéder à des auditions sont restées lettre morte.
Pour identifier la responsabilité de Roger Lumbala dans les exactions, les enquêteurs procèdent au "recueil de nombreux témoignages, à la reconstitution des faits", s'appuient sur de nombreux rapports d'ONG, des articles de presse ou encore des dépositions faites devant la Cour pénale internationale, raconte-t-il.
Une première phase, d'enquête préliminaire, leur permet d'établir que les troupes du RCD-N avaient bien commis des "violences systématiques" et que Roger Lumbala, qui tenait un rôle de commandement politique et militaire, "ne pouvait ignorer les exactions qui avaient été commises sous son autorité".
Après l'interpellation du suspect, fin décembre 2020, les investigations entrent dans une deuxième phase, avec l'ouverture d'une information judiciaire, sous la houlette d'un juge d'instruction.
Mais, en raison de la situation sécuritaire tendue en RDC, les enquêteurs ne peuvent se rendre sur place, et doivent se contenter d'éléments saisis au domicile de Roger Lumbala et d'auditions de témoins.
Or, "malgré son incarcération, Roger Lumbala conserve une forte capacité d'action et de contact", souligne l'officier, qui s'appuie sur les écoutes des appels téléphoniques de l'accusé depuis la prison. Ces écoutes révèlent qu'il tente d'entrer en contact avec des personnes haut placées et des journalistes en RDC, et qu'il évoque certains témoins.
Les enquêteurs joignent un certain nombre de personnes pour leur demander de témoigner ou de participer à des confrontations avec Roger Lumbala, mais se heurtent à de nombreux refus.
Exprimaient-ils une crainte pour leur devenir?, demande l'avocate générale Claire Thouault. "C'est quelque chose qui était très régulièrement évoqué", atteste le directeur d'enquête.
Un homme accepte de parler, mais revient après coup sur ses propos, après avoir fait l'objet de menaces.
"Qu'auriez-vous fait si vous aviez pu vous rendre en RDC?" demande le président de la cour d'assises.
"Je pense qu'on aurait fait de nombreuses auditions et que la salle serait plein de parties civiles", répond l'enquêteur, estimant que "plus on a d'auditions, plus on approche de la vérité". "Si on avait pu se déplacer, on aurait fait un travail beaucoup plus complet".

