Sanna Manjang remis par le Sénégal à la Gambie

Il a été l’une des figures les plus redoutées des « Junglers », ces commandos chargés des basses œuvres du régime de Yahya Jammeh, l’ancien président de la Gambie. Remis aux autorités gambiennes mardi 2 décembre par le Sénégal, Sanna Manjang a été inculpé le lendemain pour répondre de plusieurs accusations de meurtre, dont celui du journaliste Deyda Hydara. Cette arrestation pourrait réveiller une justice qui reste en panne de procès en Gambie, malgré les recommandations de sa commission vérité. 

Sanna Manjang (un ex-jungler gambien) a été remis par le Sénégal à la Gambie. Photo : Manjang est menotté et escorté par des hommes en habits militaires.
Arrêté en Casamance, Sanna Manjang est remis mardi 2 décembre aux autorités gambiennes par le Sénégal (photo). © D.R.
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Un ancien membre d'escadrons de la mort en Gambie, Sanna Manjang, a été inculpé mercredi du meurtre fin 2004 du correspondant de l'AFP dans ce pays à l'époque, relançant une affaire renvoyant au règne de terreur de l'ex-président Yahya Jammeh renversé en 2017.

Sanna Manjang a été arrêté samedi au Sénégal lors d'une opération sécuritaire conjointe, puis transféré mardi en Gambie.

Il a été inculpé mercredi par la justice gambienne du meurtre de deux personnes, dont Deyda Hydara qui était depuis 30 ans le correspondant de l'AFP en Gambie lorsqu'il est tombé sous les balles de tueurs à Banjul, le 16 décembre 2004.

Selon le document du tribunal, M. Manjang est inculpé du meurtre de M. Hydara en 2004 et de celui d'un homme d'affaires, Ndongo Mboob, en 2006. Il est accusé "d'avoir causé leur mort en leur ayant tiré dessus avec une arme".

Selon les autorités gambiennes, Sanna Manjang, considéré comme fugitif depuis plusieurs années, est un ancien membre des "Junglers" ("broussards"), un groupe paramilitaire chargé d'intimider ou d'éliminer toute forme d'opposition au dictateur Yahya Jammeh durant son règne sur la Gambie.

M. Jammeh a dirigé d'une main de fer de 1994 à 2017 ce petit pays anglophone enclavé dans le Sénégal à l'exception de sa façade maritime.

Il vit en Guinée équatoriale depuis son départ contraint en janvier 2017, sous la pression des Etats ouest-africains après sa défaite à la présidentielle contre Adama Barrow, réélu fin 2021 et candidat pour un nouveau mandat en 2026.

Sanna Manjang a été cité dans les conclusions de la commission "Vérité, Réconciliation et Réparations" (TRRC) "pour son rôle central dans les tortures, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires perpétrées par les Junglers", selon le gouvernement gambien.

Agé d'une soixantaine d'années et père de quatre enfants, Deyda Hydara travaillait pour l'AFP depuis 1974, d'abord comme traducteur, puis comme journaliste.

Cofondateur du journal privé The Point, il était souvent critique du pouvoir, de la corruption des élites et des atteintes à la liberté de la presse.

Une piste pour éclairer les crimes sous Jammeh

"L'arrestation de Sanna Manjang est une avancée essentielle pour établir les responsabilités (en Gambie). D'anciens broussards l'ont plusieurs fois identifié comme un acteur central de certaines des pires atrocités du régime de Jammeh", a déclaré dimanche à l'AFP l'avocat américain Reed Brody qui pourchasse les auteurs de crimes et aide les victimes de M. Jammeh.

"Si Manjang accepte de coopérer, son témoignage pourrait aussi être le coup de grâce pour Yahya Jammeh, en apportant potentiellement un nouvel aperçu sur la manière dont les broussards organisaient et commettaient leurs crimes", a ajouté M. Brody, qui joua un rôle-clé dans l'arrestation puis la condamnation au Sénégal de l'ex-dictateur tchadien Hissène Habré.

La NIA (National Intelligency Agency, services gambiens de renseignement) avait publié en 2006 un rapport d'enquête n'apportant aucun éclaircissement sur les circonstances de l'assassinat de M. Hydara.

Il a fallu attendre le départ en exil du président Jammeh pour qu'interviennent les premières inculpations, puis le lancement de la TRRC pour qu'émergent des détails sur les crimes de son régime, dont l'assassinat de Deyda Hydara.

"Nous avons tiré, moi, Alieu Jeng et Sanna Manjang", avait affirmé en juillet 2019 devant la commission TRRC le lieutenant Malick Jatta, membre des "Junglers", comme les deux hommes qu'il avait cités.

En 2024, la Cour fédérale de Justice en Allemagne a rejeté l'appel d'un Gambien, Bai Lowe, condamné par la justice allemande à la perpétuité en 2023 pour sa participation à une série de meurtres à motivation politique en Gambie.

En tant que chauffeur des "Junglers", Bai Lowe a participé à des assassinats dans son pays entre 2003 et 2006, dont celui du correspondant de l'AFP.

Outre le meurtre de M. Hydara, il a été condamné pour son implication dans une tentative de meurtre d'Ousman Sillah, un avocat, celles d'Ida Jagne et de Nian Sarang Jobe qui travaillaient pour le journal cofondé par M. Hydara, et pour le meurtre d'un ancien soldat gambien, Dawda Nyassi.

Réfugié en Allemagne depuis 2012, il avait été interpellé à Hanovre en mars 2021.

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