L'ex-président Bouterse définitivement condamné au Suriname

L'ancien homme fort de l'armée, auteur de deux coups d’État et président du Suriname de 2010 à 2020 a été condamné à 20 ans de prison en dernière instance, ce mercredi 20 décembre, pour les "meurtres de décembre" (1982) de 15 opposants politiques. Encore populaire dans certains milieux, Desi Bouterse, 78 ans, n'était pas présent lors de l'énoncé du verdict et son emprisonnement reste incertain.

L'ex-président du Suriname, Desi Bouterse, s'exprime suite à sa condamnation dans un procès en appel.
L'ex-président du Suriname, Desi Bouterse, s'adresse à la presse après avoir prononcé son mot de la fin dans son procès en appel devant la cour martiale, à la Haute Cour de justice de Paramaribo, le 31 juillet dernier. © Ranu Abhelakh / AFP
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L'ancien président du Suriname Desi Bouterse, 78 ans, jugé pour l'assassinat de 15 opposants en 1982, a été condamné mercredi à 20 ans de prison en appel, mettant ainsi un terme à une longue procédure jalonnée de tensions.

L'incarcération ou non de M. Bouterse, absent à l'audience, est toutefois incertaine, le gouvernement ayant précisé dans un communiqué qu'il n'y avait "pas d'emprisonnement immédiat". M. Bouterse a comparu librement lors du procès en appel. 

Il était "le chef incontesté, le plus haut responsable du pays. Ce qu'il disait se faisait (...) ce n'est pas important s'il a lui même appuyé sur la détente ou non", a dit le président du tribunal Dinesh Sewratan, soulignant que M. Bouterse n'avait "jamais exprimé de regrets et de repentir sincères". 

La Haute Cour a confirmé sa condamnation en 2019 pour l'exécution par balles de 15 personnes -avocats, journalistes, hommes d'affaires, militaires- en décembre 1982 alors qu'il était à la tête d'une junte.

"Le gouvernement appelle l'ensemble de la communauté, et en particulier les sympathisants, à accepter la décision de justice - décision de 20 ans, pas d'emprisonnement immédiat", selon le texte. "Le jugement" est "le début d'un processus de guérison. Avec la population, le Suriname travaillera à la réconciliation et à l'avènement d'une société juste pour tous". 

Dans le centre de la capitale Paramaribo, les autorités avaient mis en place un important dispositif de sécurité. Beaucoup craignaient des troubles provoqués par des partisans de Bouterse mais ceux-ci n'ont pas manifesté. 

Cette condamnation en appel met fin à 16 ans de procédures. M. Bouterse a épuisé tous les recours judiciaires nationaux mais peut demander une grâce présidentielle. Son avocat Irvin Kanhai, qui avait évoqué la possibilité de saisir la Cour interaméricaine des droits de l'Homme, a qualifié le verdict de "décevant". 

"Il a fallu 41 ans, mais le long bras de la loi a finalement rattrapé Desi Bouterse", a réagi Reed Brody, membre de l'ONG Commission internationale de juristes.

"Pas faire la fête"

"Les juges qui ont rendu la décision et ceux qui ont prononcé la condamnation initiale alors que Bouterse était encore président devraient être loués pour leur force d'âme", a-t-il poursuivi. 

Auteur de deux coups d’État, l'ancien homme fort de l'armée, a été élu président du Suriname en 2010 et l'est resté jusqu'en 2020.

"La décision d'aujourd'hui est une victoire pour les familles (...) et pour tous ceux qui, dans le monde, cherchent à traduire en justice les auteurs de graves abus. Les crimes les plus graves n'ont pas de date d'expiration", a-t-il conclu.

Henk Kamperveen, dont le père Andre fait partie des victimes, a commenté: "Nous avons attendu trop longtemps. Nous n'allons pas faire la fête, mais chercher à tourner la page. Ce n'est pas une victoire pour les parents survivants, mais pour l'État de droit au Suriname". 

Lilian Gonsalves, qui a perdu son mari Kenneth, s'est dite "fière du système judiciaire. Nous devons maintenant travailler à la véritable construction d'une société surinamaise en paix".

Les principales ambassades occidentales dont les États-Unis, l'Union Européenne ou les Pays-Bas --colonisateurs-- ont signé une déclaration estimant que le verdict "clôt un chapitre très difficile de l'histoire du Suriname" et espéré que "le règlement définitif de cette affaire permettra (...)de faire avancer la réconciliation pacifique, tout en veillant à ce que des atrocités telles que celles du 8 décembre 1982 ne se répètent jamais".

En juillet, M. Bouterse, très populaire notamment dans les classes les plus pauvres, avait déclaré: "Quel qu'il soit (le verdict), je suis prêt. Parce que je suis convaincu que l'autre juge (Dieu) m'acquittera à 100%".

Samedi, des milliers de ses partisans s'étaient rassemblés au siège de son parti pour lui exprimer leur soutien avec le slogan "Free Bouta" ("Libérez Bouta"), son surnom. 

Dans un discours, le même jour, M. Bouterse avait appelé au calme: "Ne semons pas la pagaille. Nous allons tenir jusqu'aux élections de 2025". Il avait toutefois souligné que "les choses peuvent déraper", allusion à de possibles troubles que pourrait provoquer son incarcération.

Après sa condamnation à 11 ans de prison en 1999, Interpol avait émis un mandat d'arrêt contre lui aux Pays-Bas pour trafic de cocaïne. Son statut de dirigeant l'a protégé de l'extradition.

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