03.06.11 - DANEMARK/RWANDA - DANEMARK: LE PREMIER PROCES POUR GENOCIDE SOULEVE UNE QUESTION DE DROIT

Paris, 3 juin 2011 (FH) - La décision rendue mardi 31 mai par le tribunal de Roskilde (Ouest de Copenhague), qui a estimé ne pas disposer de base légale "pour poursuivre des étrangers incriminés pour des faits de génocide commis à l'étranger" dans le procès d'un citoyen rwandais accusé de crimes commis en 1994, soulève une question juridique non résolue au Danemark.

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"Cette decision pose problème, car il s'agit du premier cas de génocide porté devant un tribunal danois, réagit Birgitte Vestberg, la procureur chargée des crimes spéciaux internationaux. Mais au bout du compte, cela ne fait pas une grande différence, si la personne est condamnée par la loi danoise. C'est une question académique."

Le tribunal de Roskilde indique en effet qu'il entend poursuivre le Rwandais Emmanuel Mbarushimana pour les allégations de meurtre portées par le procureur, hors de leur qualification de génocide.

"Comment peut-on dire que cette question est académique ?", s'insurge son avocat danois, Bjorn Elmquist, qui avait demandé dans une requête l'annulation des charges de génocide. "On ne peut employer un tel argument dans un Etat de droit. C'est très important pour l'accusé de savoir si son procès concerne le génocide ou non. Pour qu'un procès soit équitable, les conditions de forme doivent être remplies."

Avocat et homme politique renommé au Danemark, Bjorn Elmquist ne cache pas qu'il a voulu, avec cette requête, jeter un pavé dans la mare en demandant au tribunal de se prononcer sur un point de droit resté non résolu. Le législateur n'a jamais précisé s'il est possible au Danemark de juger un étranger pour des crimes de génocide commis à l'étranger.

"J'ai été député pendant quinze ans, et d'un point de vue moral, juridique et social je ne peux accepter que des personnes ayant participé à un génocide puissent rester impunies. Cette décision [du tribunal de Roskilde] porte un coup très fort contre le manque de sens de responsabilité du procureur, du Parlement, du ministère de la Justice. Nous sommes tous responsables de ce flou juridique."

Le Danemark affiche pourtant sa volonté de poursuivre les crimes les plus graves. Un pôle judiciaire spécialisé a été créé en 2002, qui a ouvert depuis 228 enquêtes. "L'ambition du Bureau spécial des crimes internationaux [dirigé par la procureur Birgitte Vestberg, NDLR] est honnête et sérieuse. Mais elle n'est pas suffisamment suivie d'effets", constate Bjorn Elmquist. Seules deux enquêtes du Bureau spécial sont en effet parvenues à ce jour au stade du procès.

Marit Vik, du Centre Norvégien pour les droits de l'homme (NCHR), a pu consulter la décision du tribunal de Roskilde. "L'argument décisif du tribunal, indique la juriste spécialiste du droit international, a trait aux discussions préalables à la ratification et à la mise en oeuvre de la Convention sur le génocide, en 1955. Les vues exprimées par les autorités danoises touchaient en général au principe de la souveraineté nationale et de non-interférence des autres Etats, comme cela avait été accepté par la plupart des Etats en 1955."

Depuis 1955, la jurisprudence danoise considère dès lors que la Convention pour le génocide s'applique "au territoire du Danemark et aux Danois du Groenland", selon Bjorn Elmquist.

Le Code pénal danois a évolué après la ratification du Traité de Rome par le Royaume en 2001, et la réforme législative qui a suivi en 2009. Mais là encore, les débats entre parlementaires au moment de la mise en oeuvre du texte fondateur de la Cour pénale internationale ont "laissé cette question ouverte à l'interprétation", constate Birgitte Vestberg.

Pour Marit Vik, l'évolution du droit international dans le monde laisse toutefois peu de doute sur l'interprétation d'une loi sur le génocide. "La Cour européenne des droits de l'homme, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie ont tous établi dans différents jugements que la compétence universelle joue pour le crime de génocide et qu'en conséquence la Convention sur le génocide ne doit pas être interprétée comme n'incluant que les poursuites dans les territoires où les crimes ont eu lieu." "Je ne peux dès lors que conclure que cette décision n'est pas conforme avec les interprétations et les vues internationalement acceptées de la Convention sur le génocide", tranche la juriste.

"Nous déciderons dans les jours qui viennent si nous faisons appel, indique la procureur spéciale Birgitte Vestberg. Nous verrons alors quelle décision sera prise."

FP/GF

  

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