A l'origine de ce revirement, le report sine die par le Sénégal d'une réunion d'experts qui devait s'ouvrir lundi à Dakar, sous la coordination de l'Union africaine, sur la mise en place d'un tribunal international ad hoc appelé à juger Hissène Habré pour crimes contre l'humanité.
Ça a été "le coup de trop" pour la coalition d'ONG, à laquelle participent notamment Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l'homme et l'Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l'homme (ATPDH).
"Après onze ans de reports successifs et de déceptions, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ! Il faut voir la réalité en face, en prétendant vouloir juger Habré, le Sénégal nous a bercés d'illusions", a déclaré Jacqueline Moudeina, présidente de l'ATPDH.
Les membres de la coalition assurent qu'ils "commencent à perdre tout espoir de voir un jour Habré jugé au Sénégal" et feront dorénavant "pression pour que celui-ci soit extradé vers la Belgique, qui en avait déjà fait la demande en 2005, et l'a réitérée en 2011."
Hissène Habré est accusé d'assassinats politiques et de tortures perpétrés alors qu'il dirigeait le Tchad, de 1982 à 1990. Chassé du pouvoir par Idriss Déby en décembre 1990, il s'était réfugié au Sénégal, où il réside depuis.
En janvier 2000, sept victimes tchadiennes ont porté plainte contre lui devant un tribunal de Dakar, avec le soutien d'associations de défense des droits de l'homme. En juillet, la Cour d'appel de Dakar a déclaré les tribunaux sénégalais incompétents pour des crimes commis hors du territoire national.
Se succèdent ensuite dix années d'inertie politico-judiciaire.
Les ONG se tournent déjà vers la Belgique, où des procès de présumés génocidaires rwandais se sont tenus en vertu du principe de compétence universelle.
En novembre 2000, des victimes tchadiennes portent plainte devant la justice belge, qui délivre un mandat d'arrêt international contre Hissène Habré le 19 septembre 2005, pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et actes de torture.
Le Sénégal rejette la demande d'extradition belge, et demande l'arbitrage de l'Union africaine. Qui répond, en juillet 2006, que M. Habré doit être jugé à Dakar "au nom de l'Afrique".
En novembre 2010, saisie à son tour, la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) décide que le Sénégal doit juger Habré en créant "une juridiction spéciale ou ad hoc à caractère international".
Après un premier rejet du projet par le président sénégalais Abdoulaye Wade, le Sénégal et l'Union africaine annoncent, le 24 mars 2011, un accord sur la création d'une "Cour internationale ad hoc" chargée de juger l'ancien dictateur.
Mais les exigences de Dakar ont déjà "donné lieu en mars à un projet de Cour coûteux, peu maniable, et en définitive inopérant", a affirmé Jacqueline Moudeina, de l'ATPDH, dans un précédent communiqué.
Aucune nouvelle date n'a été fixée pour la tenue de la réunion reportée lundi par le Sénégal, qui a expliqué sa décision par le défaut de "certains préalables".
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