10.06.11 - CPI/CENTRAFRIQUE - POURQUOI LA LRA RESTE ACTIVE ET IMPUNIE ? (ECLAIRAGE)

Paris, 10 juin 2011 (FH) - La mort lundi 6 juin du médecin chef du centre de dépistage de Obo, au Sud-Est de la République Centrafricaine (RCA), attribuée aux rebelles de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) suscite une vive émotion dans la communauté locale, selon la Radio Ndeke Luka, et pose de nouveau la question des raisons pour lesquelles cette guérilla continue de frapper.

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Le véhicule a été attaqué lundi en forêt sur l'axe Zémio-Rafaï, alors qu'il se rendait à Obo avec un chargement de vaccins contre la poliomyélite, par un groupe d'homme armés appartenant à la LRA qui ont tué le médecin et son chauffeur, selon la radio de la Fondation Hirondelle basée à Obo, dans la préfecture de Haut Mbomou.

En 2005, cinq mandats d'arrêt ont été lancés par la Cour pénale internationale (CPI) contre les principaux leaders de la LRA, qui n'ont pas toujours pas été arrêtés six ans après. Deux des personnes visées étant probablement mortes, ces mandats visent aujourd'hui son chef, Joseph Kony et deux de ses commandants encore en activité, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen.

Dans un communiqué publié mercredi à Obo, le Collectif d'action contre l'Armée de résistance du Seigneur a demandé au gouvernement centrafricain « de tout mettre en oeuvre afin de bouter ces rebelles hors de son territoire » et à la communauté internationale « de voler au secours de Bangui [pour] atténuer les souffrances des populations locales déjà meurtries ».

Ce contexte de violencea été dénoncé par l'organisation américaine Human Rights Watch, dans un rapport publié le 23 mai dernier.

« Près de trois ans après le lancement d'une nouvelle vague de violence par la LRA visant des villages et des villes de la République démocratique du Congo, du Sud-Soudan et de la République Centrafricaine, des lacunes considérables subsistent en matière de protection de centaines de milliers de civils qui vivent dans les régions où la LRA sévit », indique l'ONG.

« Depuis septembre 2008, la LRA a tué près de 2 400 civils et en a enlevé quelque 3 400 autres, dont beaucoup d'enfants, et a été à l'origine du déplacement de plus de 400 000 personnes de leur domicile », estime Human Rights Watch.

« Il y aurait à nouveau eu une grande série de meurtres et d'enlèvements dans les derniers mois, et plus de cent attaques rapportées depuis le début de 2011 », déclare Pascal Turlan, conseiller en coopération internationale au bureau du procureur de la CPI. Cette situation n'est pas due selon lui à un manque de volonté des Etats d'arrêter les membres de la LRA, mais à « un problème de capacité » face à une guérilla « organisée et dangereuse ».

En Centrafrique, la LRA a jusqu'ici surtout été inquiétée par l'armée ougandaise, qui y exerce un « droit de poursuite » depuis la fin de l'année 2008. Une force à laquelle pourrait se joindre prochainement des « brigades conjointe » coordonnées par l'Union africaine, dont la création a été entérinée lors d'une réunion organisée à Bangui en octobre dernier, indique Pascal Turlan.

Selon lui, il y a actuellement de la part de la communauté internationale « une reconnaissance tangible que l'arrestation des trois personnes poursuivies par la CPI est la clé pour la fin de la LRA et la fin des souffrances des populations dans cette région. La réunion de Bangui d'octobre dernier, celles de l'Union africaine qui vont avoir lieu prochainement sont des signes encourageants. Mais il faudra voir ensuite si les actes suivent ces démarches politiques. »

Née au Nord de l'Ouganda après la prise de pouvoir du président Yoweri Museveni, la LRA s'est formée en 1987 autour d'un leader politique et spirituel, Joseph Kony, qui s'est entouré d'un état-major composé de militaires déchus de l'armée ougandaise. Progressivement chassée du Nord de l'Ouganda, la LRA essaime depuis fin 2008 au Congo, en Centrafrique et au Sud Soudan.

Un éclatement géographique qui complique depuis les poursuites.

« La LRA a toujours été très dangereuse, confirme Sandrine Perrot, spécialiste de l'Ouganda au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences-Po à Paris. Elle a toujours été très mobile, a toujours réussi à contourner les services de sécurité de plusieurs armées. C'est un groupe que l'on a toujours sous-estimé militairement et qui en fait s'avère être très efficace sur le terrain. »

« La CPI lance les mandats d'arrêt, mais ensuite il lui faut un bras armé pour les exécuter, poursuit Sandrine Perrot. Ça a été la grosse ambiguïté par rapport à l'action de la justice internationale dans la région. En dehors de l'armée ougandaise, qui maintenant commence un peu à être démoralisée parce que le président centrafricain les a confiné un peu au Sud du pays, il est clair que les armées de la région ne font pas de l'arrestation de Kony une priorité. »

Le projet actuel de « brigade conjointe » n'est pas le premier projet du genre, ajoute la chargée de recherches au CERI. « Fin 2008, l'opération ‘Lightening Thunder', devait également être une opération conjointe entre l'UPDF, les FARDC et le SPLA [respectivement, les armées ougandaises, congolaises et soudanaises, NDLR]. Il est clair qu'il n'y a jamais eu de coordination des trois états-majors. Il y a des tensions entre les armées de la région. Est-ce que l'Union africaine aura un impact sur leurs capacités de coordination ?, j'en doute un petit peu. »

« On a essayé pas mal de choses, notamment l'option militaire et visiblement on a échoué, estime Sandrine Perrot. On a tenté des pourparlers de paix internationaux. Mais une option à laquelle on n'a pas complètement donné sa chance, c'est l'intervention des acteurs locaux, du Nord de l'Ouganda. Pour tenter d'entrer en contact avec Kony et de rouvrir des pourparlers de paix avec des gens en qui il aurait confiance, qui pourraient apporter des solutions concrètes à ce qu'il va devenir après la guerre ».

FP/GF

© Agence Hirondelle