24.08.11 - CPI/LUBANGA - REQUISITOIRE ET PLAIDOIRIES DANS LE PREMIER PROCES DE LA CPI

La Haye, 24 août 2011 (FH) - Le procureur, la défense et les victimes présenteront leurs conclusions finales jeudi et vendredi, dans le procès de Thomas Lubanga devant la Cour pénale internationale (CPI).

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Président de l'Union des patriotes congolais (UPC), Lubanga est poursuivi pour crimes de guerre pour avoir enrôlé des enfants de moins de 15 ans dans ses troupes.

Le procès du chef de milice congolais est le premier a avoir été ouvert devant la CPI qui depuis sa mise en place en 2002 n'a encore rendu aucun jugement. Selon les prévisions du Greffe, le verdict devrait tomber d'ici décembre, mais en cas de culpabilité, la sentence ne sera rendue qu'en 2012, dans une décision séparée.

Une affaire à  rebondissements

Le procès de Thomas Lubanga a connu de nombreux coups de théâtre. En juin 2008 d'abord, la chambre, présidée par le juge britannique Adrian Fulford, avait ordonné la libération de l'accusé, suite au refus de coopérer de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) et d'organisations non gouvernementales. La Monuc refusait de lever la confidentialité sur 156 documents remis au procureur. Pour les juges, il était, dès lors, « impossible de juger » sans pouvoir prendre connaissance de pièces à conviction susceptibles de peser « sur l'innocence ou la culpabilité » de Thomas Lubanga. Il avait fallu l'intervention du chef des opérations de maintien de la paix à New York pour faire céder la Monuc.

Six mois plus tard, nouveau rebondissement. A l'ouverture du procès le 26 janvier 2009, le premier témoin appelé par le procureur renonçait à déposer, après quelques minutes d'audition, par peur d'être à son tour poursuivi. Par la suite, la majeure partie des dépositions des 36 témoins du procureur et des 24 témoins de la défense se sont déroulées à huis clos. Mais les mémoires déposés par les parties offrent quelques éclairages sur les enjeux du procès.

Deux points clés

La bataille qui oppose le procureur à Thomas Lubanga repose sur deux points clés : la nature du conflit en Ituri et la crédibilité des témoins de l'accusation.

Les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), branche armée de l'UPC, ont-elles participé à un conflit interne ou international ? La réponse des juges pourrait avoir impact majeur sur l'affaire. En effet, en cas de conflit international, l'interdiction d'enrôler des enfants de moins de 15 ans ne vise que les arméee nationales. Or, Thomas Lubanga dirigeait pour sa part un "groupe armé". En revanche, en cas de conflit interne, l'interdiction d'enroler des enfants de moins de 15 ans s'adresse aussi aux "groupes armés".

Handicap majeur pour le procureur, la chambre préliminaire avait estimé que le conflit en Ituri était international. Mais dans son mémoire, signé de Luis Moreno Ocampo, l'accusation avance qu'il s'agit d'un conflit interne, opposant notamment les Hema, une ethnie dont fait partie l'accusé, aux Lendu. Selon le procureur, les affrontements entre milices n'opposaient pas des armées nationales, même si ces milices étaient soutenues par des Etats - le Rwanda, l'Ouganda et la République démocratique du Congo.

Second point d'achoppement : La crédibilité des témoins présentés par le procureur. Au cours du procès, la défense a consacré l'essentiel de sa démonstration à prouver l'existence « d'une vaste opération mensongère destinée à tromper la cour ».

Faux témoignages et collusion

En juillet 2010, les juges ordonnaient ainsi une nouvelle mise en liberté de l'accusé, suite au refus du procureur d'appliquer leurs ordonnances et de transmettre à la défense des éléments concernant des intermédiaires, des Congolais chargés d'épauler les enquêteurs sur le terrain, en Ituri.

La chambre d'appel avait jugé la sanction trop sévère et le procès avait pu se poursuivre avec l'audition de dix-neuf témoins, dont certains ont expliqué comment ils avaient été invités à produire de faux témoignages. La défense avait aussi dénoncé les collusions entre certains de ces intermédiaires et les autorités congolaises, ou encore avec « des organisations impliquées dans la représentation des victimes devant la Cour ». Certaines « victimes » participant au procès en tant que « parties civiles » auraient aussi fait de fausses déclarations à la chambre.

« Une proportion considérable des témoins de l'accusation ont fourni de faux témoignages à l'instigation d'agents du Bureau du procureur », écrivent maîtres Catherine Mabille et Jean-Marie Biju-Duval dans leur mémoire. Ils estiment que dès lors, toute la preuve du procureur est décrédibilisée, et rend « impossible toute condamnation au-delà de tout doute raisonnable ».

En janvier 2011, les juges avaient refusé de suspendre le procès, mais proposaient de se prononcer plus tard sur ce point. Ils avaient cependant invité le procureur à retirer certains témoignages douteux de ses conclusions finales.

Selon ses avocats, Lubanga n'avait que des pouvoirs limités

Au cours du procès, le procureur a tenté de démontrer que Thomas Lubanga était le co-auteur d'un plan, destiné à « prendre la gouvernance de l'Ituri en recrutant de jeunes personnes. Ce plan avait été mis en oeuvre par l'Etat-major des Forces patriotiques de libération du Congo (FPLC), la branche armée de l'UPC, « en menant des campagnes de recrutement ciblé dans les écoles, les rues, et grâce à des campagnes coercitives dans les villages » La défense estime, de son coté, que Thomas Lubanga n'avait qu'un pouvoir limité sur les FPLC. Elle a aussi présenté plusieurs documents sur les efforts de démobilisation des jeunes recrues engagées dans les troupes de l'UPC. Mais pour le procureur, ces documents étaient un leurre, destiné à tromper les ONG et la communauté internationale.   

A ce jour, 123 victimes participent au procès intenté contre l'ex chef de milice congolais. Si Thomas Lubanga devait être reconnu coupable, un procès en réparation pourrait alors s'ouvrir.

L'accusé est détenu depuis plus de cinq ans à la prison de Scheveningen. Il avait été livré à la Cour le 17 mars 2006, après avoir été incarcéré un an à Kinshasa.   

SM/GF

© Agence Hirondelle